Commentaire du projet de loi 6539 sur la préservation des entreprises et la faillite

L’acclimatation des concepts états-uniens de refresh ou de rebound répond aux enjeux posés aux entreprises en difficulté dans le contexte des mutations que connaissent les économies européennes.

Les nouveaux instruments de l’insolvabilité visent à assurer la conservation de la valeur des entreprises, qui résulte de l’énergie et de l’engagement des entrepreneurs, lorsqu’elles rencontrent des difficultés tout en garantissant les droits de l’ensemble des stakeholders, salariés ou créanciers. Cette réforme, qui favorise le financement des entreprises, bénéficie à l’ensemble de l’économie et donc aux citoyens. A l’issue du Brexit, le Grand-Duché de Luxembourg pourrait renforcer encore son attractivité dans l’accueil de groupes internationaux soucieux de trouver les outils leur permettant de faire face, le cas échéant, à leurs besoins d’adaptation et de restructuration. Dans le droit fil de la loi de modernisation de la loi sur les sociétés commerciales entrée en vigueur en date du 10 août 2016, le droit de la faillite(1) devait être réformé afin d’ancrer le droit luxembourgeois dans ce mouvement général de modernisation du droit de l’insolvabilité.

Cette nécessité est d’autant plus pressante que le nouveau règlement 2015/848 relatif aux procédures d’insolvabilité est applicable depuis le 26 juin 2017 et que ce texte entend favoriser les procédures permettant le redressement des entreprises et des groupes européens économiquement viables rencontrant des difficultés. En effet, « ce qui est désormais prioritaire, c’est le sauvetage ou le redressement du débiteur (société, personne morale ou personne physique), dans tous les cas où cela est possible. La faillite traditionnelle et la liquidation sont considérées comme des procédures de derniers recours »(2). La Commission a, dans ce contexte, déposé en novembre dernier une proposition de directive visant à harmoniser le droit des Etats membres en matière de procédures préventives de restructuration. Cette proposition de directive comporte notamment la possibilité pour les débiteurs de recourir à une procédure de sauvetage débutant par une négociation avec des créanciers s’inspirant largement tant du Scheme of arrangement anglais que du Chapter 11 américain.

Inspiré de la loi belge du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises, modifiée en dernier lieu par la loi du 27 mai 2013 pour la rendre compatible avec le règlement 2015/848, le projet de loi n° 6539 relatif à la préservation des entreprises et portant modernisation du droit de la faillite, vise à « aider » et « sauver » les entreprises. En l’état actuel du droit, les entrepreneurs luxembourgeois ne disposent, en effet, que de trop peu de moyens pour éloigner le spectre de la faillite. Tant le concordat, que la gestion contrôlée et le sursis sont, ainsi que le relèvent les auteurs du projet de loi, des instruments surdimensionnés au regard des moyens de la plupart des entreprises concernées et s’avèrent particulièrement difficiles à mettre en oeuvre de surcroît.

Dépistage précoce des sociétés en difficulté

En l’état actuel du projet de loi, la première étape de cette nouvelle approche s’appuierait sur la collecte de données et leur analyse afin d’identifier les entreprises en difficulté lorsque certains voyants passent au rouge, conformément à une pratique ancrée en Belgique depuis la loi sur la continuité des entreprises et que la réforme du Livre XX vient encore renforcer en augmentant sensiblement les pouvoirs de la Chambre et des juges. La détection des difficultés peut résulter des comptes sociaux publiés ou encore de la liste des protêts, c’est-à-dire des incidents liés à l’exécution des lettres de change. Outre la collecte des informations le CEvED (Comité d’Evaluation des Entreprises en Difficulté) aurait dans ses attributions la faculté d’accorder des délais de paiement et de préconiser des mesures de réorganisation. Le Comité de conjoncture quant à lui jouerait un rôle actif dans le dépistage des entreprises en difficulté et pourrait, de sa propre initiative, rencontrer ces dernières pour leur proposer un entretien.

Procédures de réorganisation

Afin d’accompagner les entreprises en difficulté, le projet de loi prévoit différentes procédures de réorganisation adaptées à la taille des entreprises. S’inscrivant dans le mouvement international et européen de modernisation du droit de l’insolvabilité, le projet de loi prévoit un volet de procédures de réorganisation non judiciaires (couramment évoquées sous le terme preinsolvency par les praticiens et qui peuvent ne pas être couvertes par le règlement 2015/848) et un volet de procédures de réorganisations judiciaires.

Les procédures de réorganisation non judiciaires sont au nombre de deux. Dans le cadre de la nomination d’un conciliateur d’entreprise, l’entreprise en difficulté s’adresse au secrétariat du Comité de conjoncture afin de se faire assister par un conciliateur d’entreprise dont la mission sera de l’épauler dans ses négociations avec ses principaux créanciers ou d’identifier l’origine de ses difficultés et les solutions pour y remédier en vue de son redressement. Le nouveau texte belge, à cet égard, va plus loin en permettant au médiateur de préparer et favoriser les procédures judiciaires, ce qui institutionnalise la pratique des prepacks, c’est-à-dire des procédures où, dans un cadre de confidentialité contrôlée, le sauvetage d’une entreprise à l’abri des mesures usuelles de rétorsion est préparé.

Dans le cadre de la procédure d’accord amiable, le débiteur tente de parvenir à un accord avec deux ou plusieurs de ses créanciers, assisté le cas échéant d’un conciliateur d’entreprise. La nouvelle loi belge prévoit une homologation de l’accord atteint et une obligation de motivation de l’accord au regard de l’objectif poursuivi de sauvetage de l’entreprise.

Les procédures de réorganisations judiciaires ont vocation à préserver, sous le contrôle du juge, tout ou partie de l'entreprise en difficulté ou de son activité. Les procédures de réorganisations judiciaires sont au nombre de trois :

  • la procédure de sursis ;
  • l'accord collectif ;
  • le transfert sous autorité de justice.

La procédure de sursis entraîne la suspension de toute mesure d'exécution en vue du recouvrement des créances redues par l’entreprise en difficulté entre le dépôt de la requête et la décision d'ouverture de la procédure ainsi que durant la procédure de réorganisation judiciaire. L'objectif est d'accorder un délai à l'entreprise en difficulté pour lui permettre de négocier avec ses créanciers un accord amiable ou lui permettre d'initier une procédure d'accord collectif, ou de parvenir à réorganiser la société au moyen d'un transfert sous autorité de justice. Ce type de procédures est visé par le règlement et son utilité dans les procédures transeuropéennes peut s’avérer capitale.

L'accord collectif permet d'obtenir un accord avec tous les créanciers, y compris avec ceux qui s'y opposent, sous réserve de remplir des conditions relatives au nombre de créanciers qui approuvent le plan et de la proportion du passif qu'ils représentent. Enfin, le transfert sous autorité de justice permet à un mandataire de justice d’organiser la cession de tout ou partie des actifs de l’entreprise en vue d’assurer la continuité des activités.

L’insertion de ces procédures dans les annexes du règlement européen pourra permettre à la Place de renforcer son attractivité et sa position dans la compétition européenne pour l’accueil des entreprises ayant décidé de quitter la place de Londres. Des groupes d’entreprises pourront évaluer la pertinence de l’outil mis à leur disposition.

Cette modernisation du droit de l’insolvabilité est de l’intérêt des créanciers. En effet, la Banque Mondiale a démontré que les taux de recouvrement de créances augmentent grâce à la détection rapide des difficultés financières et à la possibilité pour les entreprises de se restructurer à un stade précoce. Au-delà de l’intérêt des créanciers, cette modernisation bénéficie à l’économie dans son ensemble puisqu’elle permet d’attirer les investisseurs, attentifs aux outils leur permettant de répondre aux mutations de leurs entreprises, et évite la perte de valeur s’agissant d’entreprises encore rentables mais rencontrant des difficultés conjoncturelles ou passagères. Enfin, elle donne aux entrepreneurs, et notamment aux créateurs de start-up, un message clair : l’échec n’est un problème que si l’on n’en tire pas les leçons et si l’on ne parvient pas à rebondir.

Pour l’entrepreneur en difficulté, s’approprier les outils de cette nouvelle législation, c’est préserver la valeur de son entreprise ou sa capacité à entreprendre.

Comme le savent les entrepreneurs et ainsi que l’écrit Nassim Nicholas Taleb dans Antifragile: Things That Gain from Disorder, « Entrepreneurship is a risky and heroic activity, necessary for growth or even the mere survival of the economy ».

Me Yves Brulard – Avocat inscrit aux barreaux de Mons et de Paris
Me Yves Brulard – Avocat inscrit aux barreaux de Mons et de Paris
Me Yasmina Maadi - Avocat inscrit au barreau de Luxembourg
Me Yasmina Maadi - Avocat inscrit au barreau de Luxembourg

DBB LAW

(1) Avis d’expert, Réforme du droit de la faillite : la reprise d’un chantier en cours, 29 juin 2017, consulté le 30 août 2017, disponible sur : https:// www.legitech.lu/newsroom/articles/reformedroit- de-faillite-reprise-dun-chantier-cours.

(2) Grégory Minne et Franz Fayot, Les principales innovations du nouveau règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, Journal de droit européen 2016, pp.2-7, p.2. 

SAVE THE DATE - 5 octobre 2017

Séminaire International Insolvency Cooperation
Sur la coopération transfrontalière dans le domaine de l’insolvabilité internationale

Présentation du règlement 2015/848 relatif aux procédures d’insolvabilité et ateliers sur la coopération transfrontalière entre praticiens de l’insolvabilité

Renseignements et inscription sur www.dbblaw.eu