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Que ce soit au cœur de la vieille ville ou aux abords du MUDAM, les œuvres architecturales ne laissent personne indifférent. Témoins de l’histoire mais aussi de leurs créateurs, ces biens ne se réduisent pas à leur simple aspect utilitaire. En tant qu’expression artistique de leurs auteurs, les créations architecturales profitent d’une protection particulière par le biais des droits de propriété intellectuelle, principalement par le droit d’auteur. Ce fait, souvent ignoré, peut donner lieu à des conflits juridiques parfois inattendus.

Le métier d’architecte renvoie à différents modes d’exercice et relève d’une loi du 13 décembre 1989 portant organisation de la profession. Au sens large, la profession d’architecte s’étend à celle d’architecte d’intérieur, d’ingénieur-conseil, d’urbaniste, d’aménageur ou encore d’architecte ou d’ingénieur paysagiste.

De la conception jusqu’à l’achèvement, les créations d’architectes sont nombreuses et peuvent s’exprimer par des formes très variées. Il peut s’agir de dessins, d’esquisses, de plans, de croquis, de maquettes ou encore de la réalisation de meubles, d’aménagements d’intérieur, de bâtiments, de places publiques, de ponts, etc. De même, ces créations peuvent être réalisées en 2D ou en 3D, sous forme physique ou virtuelle. Chaque étape de la vie d’une création peut ainsi être confrontée à la question de la protection par les droits d’auteur.

Dès la création d’une oeuvre

Ces droits sont régis par la loi du 18 avril 2001 relative aux droits d’auteur, aux droits voisins et aux bases de données. La loi n’impose aucune formalité (comme un dépôt ou un enregistrement) pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur. Cela signifie que les droits d’auteur sont acquis dès le moment et par le fait même de la création d’une oeuvre. Il suffit que l’œuvre soit matérialisée, que ce soit par le fait de dessiner un croquis, par l’élaboration de plans, par la réalisation d’un meuble ou encore par la construction d’une maison. Par contre, une simple idée ou un concept non autrement concrétisés ne sont pas protégés par le droit d’auteur. De plus, pour être qualifiée d’œuvre au sens du droit d’auteur, la jurisprudence précise que la création architecturale ne doit pas présenter une finalité purement fonctionnelle. Elle doit présenter une certaine originalité, c’est-à-dire porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. En pratique, cette exigence est assez facilement remplie.

Droits patrimoniaux et droits moraux

La protection par le droit d’auteur dont bénéficie l’œuvre architecturale se décompose en deux catégories : les droits patrimoniaux et les droits moraux. Les droits patrimoniaux se traduisent par la possibilité pour l’auteur d’autoriser ou d’interdire la reproduction, la communication au public ou encore la distribution de son œuvre.

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En pratique, le droit de reproduction permettra à l’architecte d’interdire à des tiers (y compris à ses clients) de reproduire son œuvre de quelque manière et sous quelque forme que ce soit. Il ne s’agit ici pas simplement d’une éventuelle reproduction des plans. Aussi, la photographie ou le fait de construire une maquette en miniature d’une œuvre architecturale ne sont pas permis en l’absence du consentement de l’architecte. Le droit de communication au public donne le droit à l’architecte de s’opposer à toute représentation ou diffusion de son œuvre au public (par une émission télévisée ou un site Internet, par exemple). Le droit de distribution, lui, concerne toutes formes de distribution d’une œuvre au public, pensons par exemple à la vente de souvenirs ou de cartes postales reproduisant l’œuvre concernée.

Pour un maître d’ouvrage, il est important de prendre conscience du fait que l’acquisition e la propriété de son bien n’emporte pas une cession ou licence automatique des droits d’auteur de l’architecte. En pratique, il sera donc toujours prudent de s’accorder à l’avance sur l’étendue d’une cession ou d’une licence par un contrat précis et écrit.

Les droits moraux sont davantage liés à la personnalité de l’architecte. Ce dernier dispose à ce titre tout d’abord d’un droit qui lui permet de revendiquer la paternité de son œuvre, en exigeant que son nom soit mentionné sur l’œuvre architecturale (même si la déontologie des architectes impose que cette mention se fasse avec discrétion). L’architecte dispose également d’un droit de divulgation lui permettant de décider seul s’il souhaite rendre son œuvre accessible au public ou non. Enfin, le droit moral permet à l’architecte de s’opposer à toute déformation, mutilation ou modification de son œuvre, ou à toute autre atteinte qui serait préjudiciable à son honneur ou à sa réputation. C’est ce droit qui peut être invoqué pour s’opposer à des travaux ayant pour objet ou conséquence de modifier l’apparence d’un immeuble, par exemple par la fermeture de fenêtres, l’apposition d’une enseigne sur une façade, le rajout d’un étage ou d’une annexe.

Si les droits décrits ci-avant peuvent apparaître très étendus, il faut savoir qu’ils peuvent faire l’objet de cessions et de licences, de sorte qu’il est tout à fait possible de les limiter ou au moins de les encadrer contractuellement. Ceci est essentiel, alors que la création d’un architecte est rarement réalisée pour son seul profit. Il exerce en général sa profession en réalisant ses prestations pour un maître d’ouvrage qui deviendra lui-même propriétaire du bien immobilier.

Pour un maître d’ouvrage, il est important de prendre conscience du fait que l’acquisition de la propriété de son bien n’emporte pas une cession ou licence automatique des droits d’auteur de l’architecte. En pratique, il sera donc toujours prudent de s’accorder à l’avance sur l’étendue d’une cession ou d’une licence par un contrat précis et écrit. Ceci a d’autant plus d’importance que toute atteinte aux droits d’auteur de l’architecte peut être sanctionnée au titre de la contrefaçon, tant civilement que pénalement.

En même temps, les droits d’auteur des architectes ne sont pas absolus. Plusieurs droits peuvent entrer en concurrence avec ceux-ci, comme par exemple le droit de propriété ou les règles d’urbanisme qui peuvent nécessiter des modifications ou la démolition d’une œuvre architecturale. Il existe aussi des exceptions légales aux droits d’auteur, permettant, entre autres, de reproduire et de communiquer une œuvre située dans un lieu accessible au public lorsque celle-ci ne constitue pas le sujet principal de l’acte de reproduction ou de communication. Le régime protecteur des droits d’auteur n’est ainsi pas insensible aux abus et permet, entre autres par la jurisprudence, de faire place à un certain équilibre entre les droits d’auteur des architectes et les droits d’autrui.

A noter

Les droits d’auteur protègent les œuvres pendant toute la vie de l’architecte et au-delà. En effet, la protection se prolonge pendant 70 ans à compter du 1er janvier qui suit le décès de l’auteur et cela au profit de ses héritiers et de ses ayants droits.

Enfin, il faut savoir qu’en dehors des droits d’auteur, les créations architecturales peuvent être protégées par d’autres droits de propriété intellectuelle, comme les dessins et modèles ou, plus exceptionnellement, les brevets (pour les innovations techniques) ou les marques.

Ainsi, le droit des dessins et modèles peut protéger les plans ou encore l’apparence d’un objet (comme un meuble d’intérieur) dès lors que ceux-ci sont pourvus d’un caractère de nouveauté et d’un caractère individuel. La protection par ce régime s’opère en général par un enregistrement.

Me Katia Manhaeve (1)  Partner  International IP/TMT group  Allen & Overy SCS
Me Katia Manhaeve (1)PartnerInternational IP/TMT groupAllen & Overy SCS

En droit des marques, le dessin de l’aménagement d’un magasin porte-drapeau (c’est-à-dire d’un modèle de boutique emblématique) a récemment été enregistré. Une condition essentielle d’une telle protection est que la représentation dont la protection en tant que marque est revendiquée soit propre à distinguer les produits et/ou services du titulaire de la marque de ceux de ses concurrents.

En conclusion, il est clair que le droit de la propriété intellectuelle est bien équipé pour protéger les fruits de la créativité des architectes. Pour les utilisateurs et destinataires de leurs œuvres, il est important d’avoir conscience de la protection accordée par la loi pour ne pas l’enfreindre ou, le cas échéant, pouvoir limiter son champ d’application.

(1) L’auteur tient à remercier Sabrine Abaab pour son aide précieuse.