L’image du chef d’entreprise est un miroir à plusieurs facettes. Beaucoup de liberté, mais aussi beaucoup de contraintes et de responsabilités, car il est en dernier ressort celui sur qui repose la survie de l’entreprise. Pourtant, à y regarder de plus près, son statut n’est pas enviable en tout point. Ce qui est regrettable dans une société qui entend promouvoir l’entrepreneuriat et soutenir les start-up. Il est indispensable de fournir un cadre qui favorise l’activité économique au Luxembourg. Et le statut d’indépendant en fait partie. Le point avec Jean-Paul Olinger, directeur de l’UEL - Union des Entreprises Luxembourgeoises.

Jean-Paul Olinger, directeur, UEL - Union des Entreprises Luxembourgeoises.
Jean-Paul Olinger, directeur, UEL - Union des Entreprises Luxembourgeoises.

Une contradiction existe dans les définitions de salarié et d’indépendant au niveau de la sécurité sociale et du droit du travail…

En effet, pour la sécurité sociale, une personne est considérée comme un indépendant dès qu’elle détient plus de 25 % des parts sociales (dans une S.à r.l.) et qu’elle est titulaire de l’autorisation d’établissement. Du point de vue du droit du travail, une personne sera considérée comme un indépendant lorsqu’il n’existe pas de lien de subordination. S’il y a contrat de travail et donc un lien de subordination, la personne est à considérer comme un salarié. Il est donc tout à fait possible d’être indépendant du point de vue de la sécurité sociale, mais salarié du point de vue du droit du travail. C’est par exemple le cas d’une personne détenant 25 % des parts d’une société et ayant signé un contrat de travail en tant que gérant unique de la société. Il lui sera difficile de faire valoir l’existence d’un lien de subordination étant donné l’interprétation spécifique de ce cas d’espèce par le Centre Commun de la Sécurité Sociale et, qu’en qualité de gérant, il est seul responsable de la gestion de l’entreprise et n’est soumis à aucune autorité (notamment concernant ses horaires, comptes à rendre à un supérieur, etc.).

Ces définitions différentes engendrent-elles parfois des « erreurs » de jugement lorsque une personne décide de créer une entreprise ?

Leur contradiction entraîne de toute évidence une insécurité juridique pour les personnes qui se lancent dans l’entrepreneuriat. Beaucoup pensent que le fait de posséder moins de 25 % des parts sociales de leur entreprise leur donne automatiquement un statut de salarié et les « protège ». Il arrive donc fréquemment que le conjoint ou un membre de la famille soit « délégué » comme actionnaire principal de la société afin que le gérant puisse conserver le statut de salarié et bénéficier d’indemnités le cas échéant. Ce raisonnement est totalement erroné et peut avoir des conséquences désastreuses le jour où un problème apparaît. Les membres de l’UEL informent régulièrement les créateurs d’entreprises sur ce point.

Et la situation du statut du conjoint aidant …

Si un indépendant se fait aider dans l’exercice de son activité par son conjoint ou son partenaire légal, alors que cette activité peut être considérée comme l’activité principale du conjoint ou du partenaire, celui-ci doit être affilié en tant que conjoint aidant et son revenu ne peut pas dépasser le double du salaire social minimum.

Un indépendant peut-il exercer en même temps une activité salariée, avant de se lancer pleinement dans une création d’entreprise, par exemple ?

Lorsque l’indépendant occupe en parallèle une activité salariée à 50 %, il est obligé de cotiser sur base du salaire social minimum, même si l’activité indépendante lui procure un revenu situé en dessous de ce seuil. Ne serait-il pas plus simple de lier les cotisations au revenu réel ?

Concernant les indemnités de chômage, il y a aussi des problèmes de vocabulaire…

Effectivement, les travailleurs indépendants ne peuvent bénéficier de l’indemnité de chômage complet que s’ils ont cessé leur activité pour difficultés économiques et financières, raisons médicales, fait d’un tiers ou force majeure. Sur ce point, nous pensons qu’il serait plus logique d’avoir une égalité de vocabulaire avec tout salarié auquel il suffit d’être « chômeur involontaire ».

D’autre part, pour pouvoir bénéficier des indemnités de chômage en tant qu’indépendant, il faut être inscrit comme demandeur d’emploi auprès de l’ADEM et avoir travaillé comme indépendant pendant 6 mois au moins avant l’inscription. Il faut aussi justifier d’une affiliation obligatoire de 2 ans au moins à la caisse de pension des artisans, ou des commerçants et industriels, ou à la caisse de pension agricole, ou encore à la caisse de pension des employés privés auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois (comme salarié ou indépendant). Toutefois, si l’indépendant a manqué à ses obligations de paiement des cotisations sociales juste avant la cessation de son activité, il verra sa prestation de chômage réduite brutalement à 80 % du salaire social minimum pour salarié non qualifié, respectivement à 85 % si le salarié a un ou plusieurs enfants à charge, alors même qu’il a pu avoir précédemment une carrière sans faute. Cette forme de sanction est compréhensible quant à son principe, mais elle frappe typiquement des indépendants en difficultés financières et nous semble disproportionnée, en dehors des cas de faillite frauduleuse, bien entendu.

Quid de la personne au chômage qui se décide pour une activité indépendante ?

Dans la plupart des cas, elle n’aura plus droit à une indemnité de chômage. Celle-ci est systématiquement retirée/refusée aux commerçants/artisans, indépendamment de leur revenu. Par contre, le travailleur intellectuel indépendant pourra gagner jusqu’à 10 % de l’indemnité, le montant excédent sera déduit de l’indemnité comme c’est le cas pour les salariés.

Existe-t-il des aides financières à la création d’une entreprise lorsque l’on est au chômage ?

Une aide peut être accordée au chômeur indemnisé depuis 3 mois et âgé de 40 ans accomplis, au chômeur indemnisé depuis 6 mois au moins et au demandeur d’emploi inscrit à l’ADEM depuis 8 mois au moins et ayant travaillé pendant au moins 6 ans sur le territoire national et dont l’inscription à l’ADEM a été faite moins de 3 mois après la fin de sa dernière occupation. L’aide correspond au montant capitalisé des indemnités de chômage complet auxquelles le demandeur aurait droit lors des 6 premiers mois qui suivent la prise de l’activité. Le montant n’est payé que sur présentation de factures acquittées concernant la création d’entreprise. On peut se demander pourquoi il faut chômer des mois avant de recevoir une aide…

Lorsqu’un indépendant n’est plus apte à exercer sa dernière activité pour des raisons médicales, peut-il bénéficier d’un reclassement externe ?

Non, l’indépendant ne peut pas profiter de la procédure de reclassement externe et est donc confronté à une situation très difficile financièrement durant la période où il recherche une nouvelle activité ou souhaite se reconvertir professionnellement. Les indépendants ne peuvent pas profiter non plus de la prise en charge des frais résultant de l’application des mesures de réhabilitation ou de reconversion prévues pour les bénéficiaires d’un reclassement interne ou externe, ni de la prise en charge, totale ou partielle, des dépenses de mesures de qualification individuelles pour chômeurs, indemnisés ou non, inscrits à l’ADEM, en vue d’augmenter leur employabilité. Il serait donc bienvenu que le législateur s’attaque à cette discrimination des indépendants en ouvrant expressément des droits équivalents aux travailleurs non salariés.

Peut-on exercer une activité en cas de pension de vieillesse anticipée ?

Le bénéficiaire d’une pension de vieillesse anticipée (donc jusqu’à l’âge de 65 ans accomplis) peut théoriquement exercer une activité professionnelle, salariée ou non salariée, mais les conséquences sur le montant brut de sa pension varient radicalement en fonction du caractère salarié ou non de son activité. Dans le cas d’une activité non salariée, si le revenu d’une année dépasse par mois un tiers du salaire social minimum, la pension de vieillesse anticipée est retirée, alors que dans le cas d’une activité salariée, si le salaire annuel dépasse par mois un tiers du salaire social minimum et reste inférieur à la moyenne des 5 salaires/revenus annuels cotisables les plus élevés de la carrière d’assurance, la pension de vieillesse anticipée est réduite dans la mesure où la somme de la pension et du salaire dépasse la moyenne des 5 salaires/revenus annuels cotisables les plus élevés de la carrière d’assurance. A nos yeux, cette discrimination entre le salarié et l’indépendant est injustifiée et mérite d’être abolie au plus vite.

Quelles sont les recommandations que l’UEL adresse au prochain gouvernement ?

Nous invitons le prochain gouvernement à réévaluer la situation au niveau des prestations disponibles pour les indépendants et les salariés, des conditions pour y avoir accès, et de leur financement en vue de procéder, le cas échéant, à un rapprochement des deux régimes. La question du statut du travailleur et de l’indépendant en général mérite d’ailleurs une réflexion plus profonde, ne serait-ce que dans le cadre des nouvelles formes du travail liées à la digitalisation.

Propos recueillis par Isabelle Couset