La Cour de cassation française vient de confirmer, par un arrêt très récent, que l’enquête et la filature d’un salarié par un détective privé visant à établir des actes de concurrence déloyale constitue un moyen de preuve illicite, malgré le fait que les constatations du détective aient été faites sur la voie publique. 

Par cette décision, la Cour de cassation française a reformé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait, quant à elle, considéré que l’enquête confiée par l’employeur à un détective privé « est intervenue sur une période limitée, en vue d’opérer des constatations sur la voie publique, de telle sorte qu’elle ne présente aucun caractère disproportionné au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits et intérêts de l’employeur, s’agissant de soupçons d’une activité de concurrence déloyale qui amenait le salarié à visiter des clients autres que ceux prévus par son employeur pendant son temps de travail ». 

Qu’en est-il en droit luxembourgeois ?

Contrairement aux juridictions françaises, qui semblent ne pas toutes avoir la même approche, la jurisprudence luxembourgeoise accepte, de manière constante et unanime, le recours à un détective privé comme moyen de preuve des agissements fautifs d’un salarié, sous réserve que certaines conditions soient remplies.

En effet, la jurisprudence luxembourgeoise considère que le salarié a une obligation générale de loyauté à l’égard de son employeur et doit exécuter le contrat de travail de bonne foi. L’absence de loyauté du salarié et/ou la violation de l’exécution de bonne foi du contrat de travail, peuvent, suivant les circonstances, justifier un licenciement avec préavis, voire un licenciement avec effet immédiat.

Dans ce cadre cependant, de simples soupçons de l’employeur ne suffisent pas pour prononcer une résiliation du contrat de travail du salarié. L’employeur qui suspecterait par exemple le salarié de se livrer à des actes de concurrence déloyale ou encore qui douterait de la réalité d’un certificat de maladie doit disposer d’éléments de preuve précis et tangibles permettant de prouver la violation par le salarié de ses obligations. Ainsi, si les circonstances s'y prêtent, l’employeur peut recourir à un détective privé pour contrôler son salarié.

A l’instar des débats devant les juridictions françaises, les tribunaux luxembourgeois du travail ont également été amenés à se prononcer sur la question de la légalité et de l’admissibilité de ce moyen de preuve.

D’une manière générale, on peut retenir que les juridictions du travail, aussi bien en première instance qu’en instance d’appel, ont admis ce moyen de preuve comme étant parfaitement licite, à condition que le détective n’ait pas, dans le cadre de ses investigations, violé la vie privée du salarié.

En effet, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Par voie de conséquence, si le détective viole le droit au respect de la vie privée et familiale dans le cadre de ses recherches, les preuves ainsi obtenues seront inadmissibles en justice. Si, en revanche, ce droit fondamental du salarié a été respecté par le détective, ce moyen de preuve est parfaitement valable et peut servir à justifier une résiliation du contrat de travail.

La frontière entre des faits de la vie privée et ceux qui n’en relèvent pas est parfois ténue, de telle sorte que les instructions que l’employeur donne au détective privé doivent être précises quant à ce point. Prenons un exemple concret : l’employeur soupçonne un de ses salariés, qui s’est déclaré en arrêt maladie, de ne pas être véritablement malade, alors que celui-ci projetait d’effectuer des travaux de rénovation à son domicile. L’employeur décide alors de charger un détective privé de procéder à des investigations. Si, dans ce cadre, le détective s’aperçoit que le salarié se livre effectivement à des travaux de rénovation, deux situations doivent être distinguées :

  • si les travaux sont effectués à l’intérieur du domicile du salarié, le détective ne pourra pas valablement récolter de telles preuves, qui seraient alors en violation de la vie privée du salarié ;
  • si les travaux sont toutefois effectués à l’extérieur du domicile (des travaux de toiture, par exemple), alors les constatations du détective seront valables alors que le fait que le salarié travaille à l’extérieur de son domicile a pu être constaté sans aucune intrusion dans sa vie privée.

Ainsi, la jurisprudence considère que si les observations du détective ont eu lieu en pleine rue, à des endroits où l’employeur ou n’importe quel témoin aurait pu les faire, il n’y a pas lieu d’écarter le rapport du détective, dans la mesure où ce moyen de preuve n’a pas été obtenu de manière illégale.

Dans une autre décision, le Tribunal du travail a retenu que les rapports établis par un détective peuvent être admis comme un simple témoignage écrit dans le cas où ils sont corroborés par d’autres éléments de preuve. Le tribunal s’est référé dans ce cadre à d’autres décisions qui retiennent que c’est seulement l’atteinte « disproportionnée » à la vie privée qui est sanctionnée.

Ainsi, en analysant les faits retenus dans le rapport, le Tribunal du travail est venu à la conclusion que l’immixtion n’était pas disproportionnée compte tenu des exigences de la preuve à rapporter par l’employeur concernant le fait que le salarié ait travaillé pendant son congé de maladie. Le Tribunal a encore relevé que les faits observés ne se rapportent pas à la vie privée du salarié étant donné qu’il s’agissait uniquement d’activités prestées par le salarié dans le cadre de sa société dont il est le responsable.

Enfin, l’argument avancé par un salarié ayant fait l’objet d’une filature selon lequel la force probante de l’attestation testimoniale serait d’office nulle au motif que le témoin aurait été spécialement engagé et payé par son employeur afin de démontrer qu’il exerçait une activité d’agent immobilier et que le détective aurait donc dû tout faire pour obtenir ce résultat, n’a pas été retenu alors qu’il est de principe que le témoignage de toute personne est autorisé, à l’exception uniquement de celui qui est partie dans le cadre de l’instance judiciaire.

La faute d’un salarié peut ainsi parfaitement être prouvée par le rapport d’un détective, à la condition qu’il n’y ait pas de violation de la vie privée du salarié. Alternativement, il est accepté en jurisprudence, tant française que luxembourgeoise, qu’un constat d’huissier ou encore une investigation faite par une personne interne à l’entreprise (un service de sécurité, par exemple) est un moyen de preuve admissible, sous réserve, à nouveau, qu’il ne soit pas porté atteinte au droit au respect de la vie privée du salarié.

Me Gabrielle Eynard - Senior Associate
Me Gabrielle Eynard - Senior Associate
Me Maurice Macchi - Associate - Allen & Overy SCS
Me Maurice Macchi - Associate - Allen & Overy SCS