La mobilité électrique fait l’objet d’un intérêt grandissant, tant de la part des industriels que des décideurs publics. Le véhicule électrique est aujourd’hui en effet considéré comme la seule  « rupture » possible dans le secteur des transports pour réduire de manière significative les émissions de CO2. En 2020, et au-delà, cet engouement pour le véhicule électrique générera une consommation accrue d’électricité conventionnelle, et peut-être verte, bouleversera le panorama des constructeurs automobiles, celui de l’aménagement urbain des collectivités locales, posera la récurrente question de l’évacuation des déchets. Une révolution s’annonce donc, qui mobilise industriels et laboratoires de recherche, élus et citoyens.

Les nombreuses expérimentations qui sont en cours  pour tester la mobilité électrique introduisent certes des projets innovants. Pour autant, les obstacles identifiés, qui sont principalement d’ordre technologique et économique mais aussi environnemental, risquent, dans les prochaines années, de ralentir la production et la distribution de ces véhicules « décarbonnés ». En voici quelques exemples qui viennent un tant soit peu ternir la sucess  story que l’on veut bien nous vendre.

La fourniture d’électricité

Il est généralement admis que, pour un foyer moyen, un véhicule électrique qui parcourerait de 15.000 à 20.000 km par an engendrerait une consommation d’environ 2MGh par an, soit une hausse d’environ 50 % de la consommation du ménage. Pour le système électrique national français, il s’agit d’un surcroît de consommation estimé à 2 tonnes Wh par an et par million de véhicules. Cela représenterait 1 % du total soutiré sur les seuls réseaux de distribution en basse tension et environ 0,4 % de la production française d’électricité. Un nouveau marché s’ouvre donc aux fournisseurs d’énergie dont les contours ne sont pas encore vraiment définis.

En France, une loi prévoit (loi du 12 juillet 2010) que les opérateurs d’infrastructures publiques de recharge puissent revendre l’énergie électrique. Elle prévoit également que les points de recharge installés dans les copropriétés puissent être décomptés de la consommation des parties communes. Dans ce dernier cas, la livraison d’énergie devra faire l’objet d’échanges d’informations, tant sur le prix et la quantité d’énergie livrée que le moment et la puissance de la livraison. L’origine de l’information n’est pas encore arrêtée : la borne ou le véhicule ? Les technologies du smart grid apporteront la réponse dans les années à venir. Elles pourraient également, à l’horizon 2020, jouer un rôle en matière de stockage d’énergie (système dit Vehicle-to-grid ou du Véhicule-au-réseau) en permettant à l’opérateur de se servir de l’électricité contenue dans les batteries pour les recharger plus tard dans la nuit lorsque l’électricité est moins chère.

Le bilan carbone

Celui du véhicule électrique dépend notamment de la centrale de production d’énergie mis en route  pour faire face au surcroît de demande d’électricité. Le véhicule électrique est présenté comme un véhicule « propre » qui n’émet ni CO2, ni  particules « du réservoir à la roue » (« from tank to wheel »), mais, en fait, cette « propreté » variera en fonction de la nature de l’énergie électrique qui remplira ses batteries. Ainsi, il est impératif d’éviter la recharge des véhicules électriques en période de pointe où les réseaux sont sous tension car le mix d’énergie fournie l’est, en partie ou totalement, par des centrales thermiques fortement émettrices de CO2, telles les centrales à charbon allemandes ou polonaises.

La  recharge

Deux modes de recharges du véhicule électrique sont envisagés : le premier, le branchement du véhicule à une borne électrique permettant une recharge lente ou rapide est déjà effectif ; l’autre, l’échange de la batterie en station-service, appelé QuickDrop, n’est pas encore économiquement et technologiquement mature. Par ailleurs, avant de se présenter sous une forme standard, la recharge à une borne fixe doit faire encore l’objet de nombreuses décisions à l’échelon européen et national  qui ont trait au type d’alimentation en courant continu ou alternatif , à la sécurité électrique, à la puissance de recharge rapide ou lente, à la compatibilité des prises utilisées. C’est pourquoi l’énergéticien français EDF, en partenariat avec différents constructeurs dont PSA Peugeot Citroën, Schneider Electric et Renault, a initié  le projet CROME (Cross-Border Mobility for VE), une expérimentation transfrontalière franco-allemande en cours dont l’objectif est de créer une plate-forme européenne interopérable sur l’électromobilité.

Le coût et les capacités des batteries

Actuellement, l’autonomie d’un véhicule électrique est d’environ 150 km, sans abuser de la climatisation, du chauffage ou de l’usage des phares. C’est déjà deux à trois fois plus qu’il y a dix ans et des progrès sont encore attendus. Cela permet d’effectuer une grande majorité des trajets, puisque la distance moyenne parcourue par les automobilistes est de 40 km. Mais, cette autonomie est encore bien trop faible. D’autant que la fabrication de la batterie coûte encore très cher et représente près de la moitié du prix d’achat du véhicule électrique. Ce prix pourrait toutefois décroître en fonction du nombre de véhicules vendus

La pollution locale et globale

Comme pour une voiture ordinaire, il faut extraire du minerai de fer, de cuivre, de manganèse, de nickel, d'or et de platine, et d'autres métaux divers pour fabriquer la voiture électrique, sans compter les composants électroniques dont les procédés engendrent de la pollution.

L’exemple de la fabrication de la batterie est édifiant : substances chimiques, oxydes métalliques qui, dans l’affaire Metalleurop, a occasionné une importante pollution des sols (en l’occurrence par le plomb). Aujourd’hui, avec l’utilisation du lithium, il est à craindre que la fabrication en grande série de ces nouvelles batteries soit tout autant polluante. Enfin, comme pour une voiture ordinaire, il faut recycler le véhicule « en fin de vie », ce qui inclut sa batterie. Le pire est que, pour sa consommation,  l’électricité provient à 40 % du charbon ( la plus sale des énergies) en Allemagne et 50% aux USA, en Pologne ou en Australie. Le gaz représente 20 % du mix électrique, le nucléaire 15 %, l’hydraulique 15 %, l’éolien moins de 2 %. La difficulté réside dans le fait que l’on ne sait pas encore stocker les énergies renouvelables, notamment l’éolien et le photovoltaïque.

Le véhicule électrique dans la stratégie globale des villes

La voiture électrique représente un défi en termes d’aménagement du territoire. Elle nécessite dans les villes la construction d’infrastructures de recharge qui représentent un réseau supplémentaire d’infrastructures qu’il faut parvenir à intégrer dans des lieux où se superposent et s’entrecroisent déjà un certain nombre de réseaux (routiers, ferrés, etc.). Pour concevoir ce réseau, il va falloir installer les bornes de recharge aux endroits adéquats, qui devront être définis. Il va falloir aussi créer des places de parking qui permettent la recharge des véhicules, imaginer des systèmes incitant les habitants à utiliser en priorité ces véhicules  (exemple : parking gratuit, etc.).

Bref,  on l’aura compris, l’électrification rapide et propre du véhicule électrique ne correspond en l’état actuel de la technologie à aucune réalité sérieuse. Ce qui  ne veut pas dire que, demain, ce mode de déplacement ne sera pas une alternative crédible.

Martine Borderies