La situation du travailleur détaché a été réglementée par une directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 qui avait pour but non seulement de garantir les droits du travailleur détaché, mais encore de prévenir tout dumping social consistant pour un prestataire de services étranger à offrir des tarifs inférieurs à ceux des prestataires locaux en appliquant des normes de travail moins rigoureuses.

De nombreux abus ont été constatés, la directive 2014/67/UE, transposée par la loi du 14 mars 2017, publiée au Mémorial le 20 mars 2017 (la « loi »), a modifié le Code du travail en ce qui concerne les règles du détachement d’un Etat membre vers le Luxembourg pour permettre de mieux lutter contre les détachements frauduleux.

Dans ce contexte, les principales modifications cherchent à assurer une meilleure information de l’ITM, à impliquer davantage le maître d’ouvrage et/ou le donneur d’ordre, à élargir les compétences des autorités pour procéder à des contrôles, à favoriser la collaboration de l’ITM avec les autres administrations et ministères, à garantir un droit de recours aux travailleurs détachés et, enfin, à faciliter l’exécution transfrontière des sanctions et amendes administratives.

Renforcement de l’obligation d’information de l’ITM

En cas de détachement sur le territoire luxembourgeois, de nombreuses informations doivent être fournies à l’ITM, au plus tard au moment du commencement du travail, via une plateforme électronique destinée à l’obtention de ce que la loi appelle le « badge social ». Ces informations visent notamment :

  • les données d’identification de l’employeur détachant et de son représentant effectif ;
  • l’identité de la personne morale ou physique, déterminée librement et clairement par l’entreprise détachante, présente sur le territoire luxembourgeois, qui sera la personne de référence pour communiquer avec l’ITM et les autorités compétentes ;
  • la date de début et la durée prévue du détachement, conformément au contrat de prestation de services ;
  • le ou les lieux de travail au Luxembourg et la durée prévisible des travaux ;
  • les noms, prénoms, date de naissance, nationalité et profession des salariés ; ou
  • la qualité dans laquelle les salariés sont engagés dans l’entreprise et la profession ou l’occupation à laquelle ils sont régulièrement affectés ainsi que l’activité qu’ils exercent lors du détachement au Luxembourg.

Tout changement ultérieur, notamment de lieu ou d’objet du travail, devra être signalé par le même biais à l’ITM, sans préjudice de la nécessité d’un nouveau contrat de prestations de services ayant un objet différent.

L’entreprise qui détache un salarié doit encore transmettre à l’ITM, et toujours via la plateforme prévue à cet effet, la copie du contrat de mise à disposition le cas échéant, le certificat de déclaration préalable, l’original ou la copie du formulaire A1, le certificat de TVA, la copie du contrat de travail, l’attestation de conformité, les documents officiels attestant les qualifications professionnelles des salariés. A cette liste initiale, le nouveau cadre a ajouté les éléments suivants :

  • les fiches de salaire ainsi que les preuves de paiement pour toute la durée du détachement ;
  • les pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier pour toute la durée du détachement sur le territoire luxembourgeois ;
  • une copie de l’autorisation de séjour ou d’un titre de séjour pour tout ressortissant de pays tiers détaché sur le territoire luxembourgeois ; et
  • une copie du certificat médical d’embauche délivré par les services de santé sectoriellement compétents.

Ces quatre données complémentaires doivent permettre d’assurer un meilleur contrôle du respect du cadre légal. A noter encore : tous les documents doivent être transmis en français ou en allemand.

Les obligations du maître d’ouvrage et/ou du donneur d’ordre

Le nouveau cadre impose au maître d’ouvrage et/ou au donneur d’ordre, qui contractent avec un prestataire de services qui détache des salariés, de vérifier auprès de ce dernier, et, le cas échéant auprès du sous-traitant direct ou indirect ou bien du cocontractant du sous-traitant, qu’il a, au plus tard au commencement du détachement, adressé la déclaration ci-dessus visée à l’ITM et qu’il a fourni toutes les informations précitées. Le non-respect de cette obligation est passible d’une amende administrative.

D’une manière plus large et qui dépasse le cadre du détachement, la loi impose de nouvelles obligations spécifiques au maître d’ouvrage et/ou au donneur d’ordre dans le cadre d’un contrat d’entreprise ou de sous-traitance en ajoutant un nouvel article L.281-1 dans le Code du travail. Cette nouvelle réglementation s’applique dès lors également en cas de détachement. Ainsi, le maître d’ouvrage et/ou le donneur d’ordre qui contractent avec un prestataire de services ont désormais une obligation d’information envers l’ITM. Ils doivent s’assurer du respect, par leurs sous-traitants, des dispositions d’ordre public en matière de droit du travail. Informés par écrit par l’ITM du non-paiement partiel ou total du salaire légal ou de toutes autres infractions aux dispositions d’ordre public, le maître d’ouvrage et/ou le donneur d’ordre doivent immédiatement enjoindre à l’entreprise avec laquelle ils travaillent de faire cesser la situation. Cette obligation d’injonction de faire cesser l’infraction s’applique à l’égard du cocontractant, sous-traitant direct ou indirect, ou encore d’un cocontractant d’un sous-traitant.

L’entreprise visée par l’injonction doit alors confirmer dans les meilleurs délais qu’elle a régularisé la situation. En l’absence de réponse écrite de l’entreprise dans un délai raisonnable, compte tenu de la durée du contrat de sous-traitance, et dans un délai maximum de quinze jours calendaires à compter de la notification de l’infraction, le maître d’ouvrage et/ou le donneur d’ordre doivent en informer l’ITM.

En cas de manquement à ses obligations d’injonction et d’information, le maître d’ouvrage et/ou le donneur d’ordre sont tenus solidairement avec l’entreprise au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues aux salariés de cette dernière, dont les cotisations sociales y afférentes, outre une éventuelle amende administrative.

Réalisation des contrôles et collaboration entre les administrations.

Outre les agents de l’ITM, sont aujourd’hui compétents pour constater les infractions à la réglementation sur le détachement les agents des douanes et la Police grandducale. Un tel élargissement s’apprécie essentiellement en termes de personnel apte à procéder à de tels contrôles.

Dans le cadre de leur mission, de nombreuses administrations sont également tenues de collaborer avec l’ITM. Cette obligation vise les autorités en charge des autorisations d’établissement, les services de santé, de l’immigration, les services ayant en charge les travaux publics, les services des douanes et accises, la Police grand-ducale, l’ADEM, l’Administration des contributions directes, l’Administration de l’enregistrement et des domaines ou l’Association d’assurance accident. Ces administrations sont tenues d’échanger, notamment par voie informatique, les données dont elles disposent. Les données ainsi recueillies peuvent être conservées 24 mois suivant la fin du détachement ou jusqu’à un jugement en dernière instance passé en force de chose jugée par l’ITM.

Outre ces dispositions spécifiques au cadre du détachement, la loi a étendu les pouvoirs de l’ITM, notamment lorsqu’il s’agit de prononcer des mesures d’urgence à des fins de remise en état et de cessation de violations des lois en relation avec la sécurité et la santé des salariés sur le lieu de travail.

Recours ouverts aux travailleurs détachés et aux organisations syndicales

L’article L.142-5 qui ouvrait un droit d’action aux salariés devant les juridictions luxembourgeoises est abrogé et remplacé par un nouveau Chapitre III ayant pour titre Contentieux et sanctions insérant de nouveaux articles L.143-1 à L.143-3 dans le Code du travail.

L’article L.143-1 ouvre non seulement aux salariés détachés la possibilité d’introduire une procédure judiciaire devant les juridictions luxembourgeoises (ce qui correspond à l’article L.142-5 qui a été abrogé), mais permet également, sous certaines conditions, en matière civile et administrative, aux organisations syndicales justifiant d’une représentativité nationale générale ou dans un secteur particulier, de faire valoir les droits reconnus au travailleur détaché lorsque leur violation porte préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre.

L’article L.143-2 dispose que les infractions aux dispositions légales sont passibles d’une amende administrative comprise entre 1.000 et 5.000 EUR par salarié et entre 2.000 et 10.000 EUR en cas de récidive, dans la limite de 50.000 EUR pour l’entreprise qui détache. Si le maître d’ouvrage et/ou le donneur d’ordre méconnaissent leurs obligations de vérification telles que mentionnées ci-dessus, ils sont passibles de ces mêmes amendes.

Exécution transfrontière des sanctions et amendes administratives pécuniaires

Les nouveaux articles L.144-1 à 144-10 de Code du travail facilitent l’exécution tant des sanctions demandées par un Etat membre au Luxembourg que des sanctions prononcées au Luxembourg contre des sociétés d’un autre Etat membre. L’ITM est désigné comme l’autorité compétente pour l’émission des demandes de reconnaissance et d’exécution d’une décision vers une Etat membre de l’UE, pour l’exécution des décisions rendues par un Etat membre au Grand-Duché ou la notification d’une décision rendue par un Etat membre de l’UE à une personne morale ou physique établie au Grand-Duché.

Au plus tard le 18 juin 2019, la Commission devra présenter au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen un rapport sur l’application de la directive et sa mise en oeuvre. Dans le cadre de ce réexamen, la Commission devra notamment, mais pas exclusivement, apprécier :

  • la nécessité et l'opportunité des éléments de fait permettant de déterminer le caractère véritable du détachement et de définir les éventuels éléments nouveaux à prendre en compte pour déterminer si l'entreprise est véritable et si le travailleur détaché accomplit son travail à titre temporaire ;
  • la validité des données disponibles relatives au détachement ;
  • la validité des données disponibles relatives au détachement ;
  • les mesures de responsabilité et/ou d'exécution mises en place pour assurer le respect des règles applicables et la protection effective des droits des travailleurs dans les chaînes de soustraitance ; et
  • l'application des dispositions relatives à l'exécution transfrontalière des sanctions et des amendes administratives pécuniaires.

Un regard pourra alors être posé sur l’application de ce nouveau cadre.

Me Céline Lelièvre, Avocat à la Cour inscriteaux barreaux de Luxembourg (Mayer Avocats)et du canton de Vaud/Suisse (Mercuris Avocats)
Me Céline Lelièvre, Avocat à la Cour inscriteaux barreaux de Luxembourg (Mayer Avocats)et du canton de Vaud/Suisse (Mercuris Avocats)