n76

Depuis 2010, non seulement les personnes physiques, mais également les personnes morales, donc les entreprises en tant que telles, peuvent faire l’objet de poursuites et de condamnations pénales. Les conséquences en peuvent être très sérieuses pour l’entreprise concernée, pouvant aller jusqu’au point où sa viabilité économique est compromise.

Le présent article, dont l’objectif est de donner un bref aperçu des principales dispositions régissant la responsabilité pénale des personnes morales en droit luxembourgeois, fait suite à un premier article paru dans ces pages et qui exposait les aspects généraux du risque pénal en entreprise.

La responsabilité pénale des personnes morales a été introduite en droit luxembourgeois par une loi du 3 mars 2010 (la loi de 2010) qui a modifié et complété le Code pénal et le Code d’instruction criminelle. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, de nombreuses condamnations de personnes morales ont déjà été prononcées et tout porte à croire que ce nombre risque d’augmenter considérablement dans les années à venir.

La genèse de la loi de 2010

La loi de 2010, qui peut être décrite comme constituant une petite révolution en matière pénale, a mis fin au principe traditionnellement admis que seules les personnes physiques peuvent être responsables sur le plan pénal, principe reflété dans l’adage societates delinquere non potest.

Le but poursuivi par les auteurs de la loi était principalement, mais pas uniquement, de répondre à certaines obligations internationales souscrites par le Luxembourg (notamment dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme).

Le régime introduit par la loi de 2010 est inspiré dans une large mesure par le régime existant en France (introduit en 1994) et plus ponctuellement de celui qui existe en Belgique (introduit en 1999), tout en tenant compte des spécificités luxembourgeoises.

Les personnes morales visées

Les dispositions introduites par la loi de 2010 s’appliquent à toutes les personnes morales, à l’exception toutefois de l’Etat et des communes. Par contre, les syndicats de communes, les établissements publics ainsi que les ordres professionnels ne sont pas exclus du champ d’application de la loi. Les personnes morales de droit étranger sont également visées.

La responsabilité pénale des personnes morales a été érigée en principe général dont l’application est étendue à tous les crimes et à tous les délits prévus par le Code pénal ainsi que par les lois spéciales. Il y a ainsi un alignement quasiment complet au régime applicable pour les personnes physiques, sauf pour les simples contraventions qui ne peuvent pas donner lieu à une telle responsabilité.

Il faut que le crime ou le délit ait été commis au nom de la personne morale et dans son intérêt. Il faut donc que l’infraction en cause ait été sciemment commise par un dirigeant ou par un organe en vue d’obtenir un gain pour la personne morale, en vue de réaliser des économies en sa faveur ou encore pour lui éviter des pertes.

Les conditions de la responsabilité pénale

Pour que la responsabilité d’une personne morale puisse être engagée, il faut d’abord que le crime ou le délit en cause ait été commis par un de ses organes légaux ou par un de ses dirigeants de droit ou de fait. La conséquence en est qu’il n’y a pas de dissociation entre la faute pénale de la personne physique et celle de la personne morale, et une culpabilité propre de la personne morale n’est pas exigée. De même, une éventuelle cause d’irresponsabilité de la personne physique bénéficie également à la personne morale. Il convient de noter que les employés de la personne morale qui ne sont ni dirigeants ni membres d’un de ses organes légaux ne peuvent en principe pas engager la responsabilité pénale de celle-ci.

Ensuite, il faut que le crime ou le délit ait été commis au nom de la personne morale et dans son intérêt. Il faut donc que l’infraction en cause ait été sciemment commise par un dirigeant ou par un organe en vue d’obtenir un gain pour la personne morale, en vue de réaliser des économies en sa faveur ou encore pour lui éviter des pertes. Ainsi sont exclues les infractions commises par un dirigeant, même en agissant dans l’exercice de ses fonctions, si l’infraction a été commise dans l’intérêt personnel du dirigeant et non pas dans l’intérêt de la personne morale.

Il est important de noter que la responsabilité pénale d’une personne morale n’exclut pas la responsabilité de la personne physique qui a matériellement commis l’infraction, l’une et l’autre pouvant être poursuivies ensemble ou l’une des deux uniquement.

La perte de la personnalité morale (par exemple suite à la liquidation volontaire ou la faillite d’une société) entraîne en principe l’extinction de l’action publique contre l’entité en cause, sauf si cette perte a eu pour but de faire échapper la personne morale aux poursuites ou si celle-ci a été inculpée avant la perte de la personnalité morale. Dans ce contexte, les autorités de poursuite peuvent recourir à un certain nombre de mesures provisoires, telles que la suspension de la procédure de liquidation ou l’interdiction de transaction susceptibles d’entraîner l’insolvabilité de la personne morale.

Les peines encourues

Il est évident que la peine d’emprisonnement ne peut pas être infligée à une personne morale. En contrepartie, les amendes qui peuvent être imposées sont substantiellement plus élevées que celles applicables aux personnes physiques.

definitionPour ce qui concerne les délits, le montant de l’amende à prononcer est, de manière générale, le double de celui applicable aux personnes physiques, mais peut, pour certaines infractions, telles que le blanchiment d’argent et des infractions de corruption, être quintuplé.

La confiscation du produit de l’infraction, notamment de biens ayant servis à commettre l’infraction, peut être ordonnée tout comme pour des infractions imputées à des personnes physiques. De même, l’exclusion de marchés publics peut être prononcée, peine qui peut être extrêmement préjudiciable pour un grand nombre d’entreprises. Finalement, la dissolution d’une personne morale de droit privé peut être ordonnée si celle-ci a été intentionnellement créée pour commettre l’infraction ou si elle a été détournée de son objet pour les commettre.

Tout comme pour les personnes physiques, les décisions de condamnation des personnes morales sont inscrites au casier judiciaire et peuvent, le cas échéant, être échangées entre les Etats membres de l’Union européenne.

Me Ari Gudmannsson Dispute Resolution/Criminal Law - Arendt & Medernach
Me Ari GudmannssonDispute Resolution/Criminal Law - Arendt & Medernach

Inscription des condamnations au casier judiciaire Tout comme pour les personnes physiques, les décisions de condamnation des personnes morales sont inscrites au casier judiciaire et peuvent, le cas échéant, être échangées entre les Etats membres de l’Union européenne.

Ainsi, outre les sanctions pécuniaires directes (amendes et confiscations) et indirectes (suites d’une exclusion de marchés publics), une telle inscription au casier judicaire risque, selon les circonstances et selon le domaine d’activité de l’entreprise pénalement sanctionnée, d’avoir des conséquences qui peuvent être préjudiciables pour la poursuite de ses activités.

Les prochains articles porteront sur la responsabilité pénale du dirigeant et la délégation de pouvoir.