Cherchant à utiliser les matières premières efficacement, notamment en les revalorisant et en proposant des services plutôt que des produits, l’économie circulaire implique de repenser notre façon de produire et consommer, ouvrant de nouveaux champs de possibilités pour toute entreprise. Le Grand-Duché l’a bien compris et en a fait l’un des piliers transversaux de sa stratégie de développement.

Romain Poulles, administrateur délégué de PROgroup S.A. et membre du groupe stratégique interministériel pour l'économie circulaire.
Romain Poulles, administrateur délégué de PROgroup S.A. et membre du groupe stratégique interministériel pour l'économie circulaire..

Si l’économie circulaire est souvent assimilée au développement durable et au recyclage, elle possède en réalité un sens bien distinct. Comme l’explique Romain Poulles, administrateur délégué de PROgroup S.A. et membre du groupe stratégique interministériel pour l'économie circulaire, « il s’agit d’un modèle économique partant du constat que les ressources naturelles utilisées au quotidien sont réparties de manière inéquitable dans le monde et s’épuisent à grande vitesse ».

Si nous continuons à produire et à consommer de manière identique, or, zinc, plomb, cuivre, pétrole, gaz naturel… – autant de matières premières qui entrent dans la composition d’une multitude de biens – ne seront en effet plus disponibles d’ici une cinquantaine d’années. « Or, au Luxembourg, nous importons des millions de tonnes de ressources, dont seule une infime partie est recyclée et, qui plus est, en matériaux de moindre qualité la plupart du temps », précise Romain Poulles. « Notre modèle économique actuel – extraire/ produire/vendre/consommer/jeter – n’est pas pensé pour que la matière première puisse être réutilisée à l’infini. »

L’âge du service plutôt que de la propriété

Le passage d’un modèle linéaire à une économie circulaire implique un changement total de paradigme. L’ensemble de la chaîne de valeur, du système dans lequel un produit évolue, doit être pris en compte par les acteurs, et ce de manière dynamique, afin de pouvoir s’adapter aux besoins évolutifs des utilisateurs. La réflexion s’oriente ainsi autour de deux grands axes.

Tout d’abord, la conception de chaque produit doit être entièrement repensée. « Le produit doit pouvoir être réparé, démonté, désassemblé afin que la matière première qui le compose puisse être recyclée à qualité égale, revalorisée et réinjectée dans le cycle de production », souligne le CEO de PROgroup.

Il faut ensuite combiner ce design de produits à un modèle économique qui fasse sens. Aujourd’hui, chaque industrie développe des produits qui intègrent l’obsolescence programmée : les pièces de rechange ne sont plus disponibles, les mises à jour plus possibles. « Nous devons désormais penser les produits comme des services. Il ne s’agit plus de vendre un produit, mais le service, la performance qui y sont associés. Prenons l’exemple d’une fenêtre. Entre les différentes couches de verre, la fenêtre renferme un gaz rare qui lui confère son pouvoir isolant. Au fil des ans, ce gaz s’échappe car les joints qui l’entourent ne sont pas totalement étanches. C’est l’une des raisons pour laquelle nous sommes obligés d’acheter de nouveaux châssis. Si le fabricant choisit maintenant de vendre une isolation transparente performante plutôt qu’une fenêtre, il a tout intérêt à ce que ce joint soit parfaitement hermétique afin d’allonger la durée de vie de son produit et ne plus devoir extraire ce gaz rare, amené à disparaître et pourtant essentiel à l’activité de son entreprise », indique le spécialiste de l’économie circulaire

Un modèle économique en rupture

Dans ce contexte, préserver l’environnement n’apparaît pas comme une fin en soi, mais plutôt comme un corollaire positif. L’objectif n’est pas de recycler les déchets mais d’éliminer toute notion même de déchet dès le départ, qu’il soit matériel ou structurel. « Car un déchet, même recyclé, reste un déchet », constate l’administrateur délégué de PROgroup. « Pour moi, une approche centrée green business – qui se focalise sur la réduction des effets négatifs de l’activité humaine, sur le recyclage (souvent du downcycling), sur une diminution de la consommation de nos ressources non renouvelables et de notre consommation énergétique – n’est pas acceptable car elle ne fait que retarder l’échéance et nous donner bonne conscience. Elle peut même, dans certains cas, engendrer de nouveaux problèmes, à l’image des soucis de qualité d’air dans les bâtiments passifs », poursuitil. « Dans le modèle circulaire, on cherche à avoir des impacts positifs, en plaçant l’Homme, son bien-être et l’économie au coeur de la réflexion, plutôt qu’à réduire les effets négatifs. »

L’économie circulaire se présente donc comme une réelle rupture par rapport au modèle linéaire, et non pas comme sa simple évolution. Et si la logique du product-as-a-service peut interpeller au premier abord, elle est déjà appliquée dans plusieurs domaines de notre vie quotidienne. L’industrie de la musique, du film et des logiciels, à travers des initiatives telles que Netflix, Spotify, le SaaS en sont quelques exemples. Certains géants mondiaux, comme Philips ou Michelin, se sont aussi engagés dans cette voie. Ils ont commencé à ne plus vendre des lampes ni des pneus, mais un service d’éclairage et des kilomètres parcourus.

Luxembourg, laboratoire de l’économie circulaire

Depuis bientôt trois ans, le Grand-Duché s’est attaché à devenir un pôle de référence en la matière. Fin 2015, quelque 15.000 emplois, principalement dans la sidérurgie et la construction, relevaient déjà directement ou indirectement de modèles circulaires dans le pays. « Citoyens, entreprises et pouvoirs publics commencent à être conscientisés. Mais tout ne se fait pas en un claquement de doigt, c’est un travail de longue haleine », commente Romain Poulles. « Certaines villes ou régions sont à un stade plus avancé que nous, Amsterdam, par exemple, mais aucun autre pays n’a mené une véritable réflexion à un niveau étatique », ajoute-t-il. L’étude stratégique autour de la Troisième Révolution Industrielle au Grand-Duché, impulsée par la théorie de Jeremy Rifkin, place ainsi l’économie circulaire au coeur de la réflexion. Elle en fait un pilier transversal, qui impacte tous les secteurs : énergie, alimentation, mobilité, construction, industrie et finance.

Ces deux dernières années, les initiatives circulaires se sont multipliées sur le territoire luxembourgeois. On peut citer les projets urbains à Dudelange et au Kirchberg, en collaboration avec le Fonds du logement, la construction du pavillon luxembourgeois pour l’Expo 2020 de Dubaï ou encore le Circular Hotspot à Wiltz. Des sociétés ont également emboîté le pas, à l’image de l’entreprise de construction Astron, de la menuiserie Bamolux, du fabricant de revêtements de sols Tarkett ou encore de Kronospan, spécialisée dans l’industrie du bois.

Stimuler l’innovation des entreprises

Il faut dire que l’économie circulaire présente de réelles opportunités de croissance durable pour toute entreprise, quelle que soit son activité. Selon l’étude Luxembourg as a Knowledge Capital and Testing Ground for the Circular Economy réalisée fin 2014 par l’institut EPEA – Internationale Umweltforschung, la mise en place rigoureuse de pratiques circulaires devrait générer entre 300 millions et un milliard EUR d’économies par an en coûts d’approvisionnement, renforcer la compétitivité des entreprises et créer plus de 2.200 emplois dans les prochaines années. Pour accompagner les PME dans cette transition, le ministère de l’Économie a développé le programme Fit 4 Circularity en collaboration avec Luxinnovation. Il vous aide à identifier la plusvalue économique d’un tel changement de modèle et à déterminer les mesures intéressantes pour votre entreprise. Une phase d’implémentation peut ensuite être entamée.

Le passage à l’économie circulaire ne se fera toutefois pas sans l’intégration de tous : citoyens, entreprises, acteurs financiers, partenaires publics… Dans cette optique, des groupes de travail ont été constitués par le gouvernement autour du financement des entreprises, de l’adaptation de la fiscalité, de la sensibilisation des jeunes et des nouveaux business models. « Nous sommes arrivés au point d’inflexion d’une courbe exponentielle. Des projets, des mesures, des technologies circulaires, en apparence embryonnaires, sont en train de progresser rapidement », souligne Romain Poulles. « Le mouvement est lancé. D’ici 3 à 5 ans, nous allons assister à une véritable transformation. Nous sommes face à la plus grande opportunité de changer fondamentalement notre système économique actuel, mis en place depuis 200 ans. »

Jeanne Renauld 

OUNI, l’épicerie sans déchet

Selon Eurostat, le Grand-Duché produit en moyenne plus de 600 kg de déchets par habitant chaque année, dont plus de la moitié sont incinérés ou mis en décharge. OUNI, la première épicerie bio sans emballage, est née de ce constat sans appel en décembre dernier, après deux ans de réflexion.

Dans cette boutique d’un nouveau genre installée dans le quartier de la Gare à Luxembourg, pas d’emballage, pas de plastique, pas de déchet. On est en plein dans l’économie circulaire. Les aliments et autres produits du quotidien sont vendus en vrac ou dans des emballages réutilisables, consignés, fabriqués localement ou certifiés équitables, le cas échéant. Le client a le choix de venir en magasin avec ses propres contenants réutilisables – sacs en toile, bocaux ou bouteilles en verre… – ou d’en acquérir sur place. L’épicerie fait aussi la part belle aux produits biologiques et privilégie les circuits courts.

La démarche d’OUNI, qui permet d’éviter le gaspillage alimentaire et de supprimer la notion même de déchet, mérite d’être soulignée. Au mois d’octobre, cette société coopérative a remporté le Green Consumer Award lors de la 7e édition des Luxembourg Green Business Awards 2017.

Jeanne Renauld