Pour s’adapter à l’internationalisation des échanges et aux enjeux concurrentiels soutenus par l’essor de la digitalisation, les groupes d’entreprises constituent une forme d’organisation qui s’impose dans l’ordre économique mondial.

Le Luxembourg n’échappe pas à la règle et constitue une terre d’accueil de nombreuses filiales de groupes internationaux, voire même de sociétés têtes de groupe.

Face à cette réalité, le droit du travail luxembourgeois, dont une grande partie des lois a été adoptée dans les années 70, dans un contexte d’économie majoritairement basée sur des entreprises locales, a dû s’adapter pour prendre en compte la notion de groupe. Ainsi, les tribunaux luxembourgeois ont été appelés à statuer sur des questions de droit individuel du travail afin de prendre en compte la dimension de groupes d’entreprises, largement absente du Code du travail.

Nous présenterons dans cet article différentes problématiques qui se posent dans le contexte des groupes d’entreprises et les réponses qu’y a apporté la jurisprudence.

Comment apprécier l’ancienneté d’un salarié dans un groupe d’entreprises ?

La mobilité intragroupe d’un salarié doit être structurée sur le plan juridique.

Si le salarié est détaché de manière temporaire au sein d’une autre société du groupe, il demeure lié par son contrat de travail initial à son employeur. Son ancienneté se poursuit, y compris pendant la durée de son détachement.

En revanche, si un nouveau contrat de travail est signé avec la société du groupe que le salarié intègre (transfert intragroupe), la question est de savoir si l’ancienneté du salarié acquise sous l’égide du contrat de travail initial doit être prise en compte dans le cadre du nouveau contrat de travail ou bien s’il faut tout simplement remettre le compteur de l’ancienneté à zéro. Cette question est cruciale car elle permet de déterminer les différents droits basés sur l’ancienneté auxquels le salarié pourra prétendre (par exemple : préavis et indemnité de licenciement).

A défaut de clause contractuelle de reprise d’ancienneté, la jurisprudence considère de manière constante que l’intégralité du service doit être prise en compte, pour autant que les sociétés du groupe concernées constituent une Entité Économique et Sociale (« EES »).

En effet, des sociétés juridiquement distinctes peuvent constituer en matière de droit du travail une EES, considérée comme une seule entreprise, étant entendu que cette notion est plus restrictive que celle du « groupe » (même si elles peuvent se recouper). Les critères de l’EES sont (i) au plan économique, une concentration des pouvoirs de direction et des activités identiques ou complémentaires, et (ii) au plan social, une communauté de travailleurs liés par les mêmes intérêts tel qu’un statut social semblable (par exemple l’existence d’un département des Ressources humaines centralisé, des politiques RH communes, etc.). Il s’agit d’une appréciation in concreto de faisceaux d’indices soumis à l’appréciation du juge.

Si une EES est reconnue au niveau des différentes sociétés du groupe, les entités constituent alors une entreprise unique au regard du droit du travail. Dans ce cas, l’ancienneté englobe, au-delà des découpages juridiques, toutes les périodes de travail au sein des sociétés du groupe formant une EES, à moins qu’il n’y ait eu rupture du contrat suivie d’une interruption réelle de service.

En cas de transfert intragroupe, est-il possible de convenir d’une nouvelle période d’essai dans le contrat de travail avec une autre société du groupe ?

L’intérêt d’une période d’essai est de permettre à chaque partie de mettre fin à la relation de travail sans avoir à fournir un motif et en respectant une durée de préavis plus courte qu’en cas de rupture d’un contrat de travail devenu définitif. Par ailleurs, aucune indemnité de départ n’est due par l’employeur.

Dans la mesure où une période d’essai ne peut être prévue qu’au début de la relation contractuelle, est-il possible de prévoir une période d’essai lorsqu’un salarié ayant travaillé pendant un certain nombre d’années dans une société d’un groupe, le cas échéant à l’étranger, conclut un contrat de travail avec une autre société du groupe basée au Luxembourg ? Est-ce une nouvelle relation de travail qui commence ?

Comme pour l’appréciation de l’ancienneté, la jurisprudence considère que des sociétés distinctes du groupe peuvent constituer en matière de droit du travail une entité économique et sociale considérée comme une entreprise unique. Dès lors, en l’absence de rupture donnant lieu à une interruption réelle de service, c’est la même relation de travail qui se poursuit. Toute clause d’essai insérée dans un nouveau contrat de travail avec une autre société du groupe est alors nulle.

Toutefois, une décision de 2015(1) est venue nuancer cette position en précisant qu’une clause d’essai peut être valable si la fonction du salarié dans le cadre du nouveau contrat de travail est fondamentalement différente de la fonction exercée au cours du précédent contrat pour une autre société du groupe, et ce même si le nouveau contrat de travail reprend certains avantages acquis auprès du premier employeur.

La procédure de l’entretien préalable s’applique-t-elle dans les groupes de 150 salariés et plus ?

Selon le Code du travail, tout employeur occupant au moins 150 salariés doit organiser un entretien préalable avec le salarié avant toute mesure de licenciement.

Faut-il, pour apprécier ce seuil de 150 salariés, prendre en compte les effectifs de toutes les sociétés du groupe ? En l’absence de précision légale, la jurisprudence a apporté des éléments de réponse à cette question :

  • dans le cas d’un salarié travaillant pour une succursale au Luxembourg rattachée à une société mère basée à l’étranger, la jurisprudence rappelle qu’une succursale n’a pas de personnalité juridique distincte de celle de la société mère. Pour déterminer l’effectif de l’employeur, il y a donc lieu de prendre en considération, en sus de l’effectif de la succursale, celui de la société mère, même si celle-ci est basée dans un autre pays que le Luxembourg ;
  • dans la situation de sociétés juridiquement distinctes, la jurisprudence reprend également le critère de l’appartenance à une EES en se livrant à une appréciation minutieuse des faits d’espèce. Dès lors qu’une EES est caractérisée, il y a lieu de prendre en considération l’effectif de toutes les entités appartenant à cette EES pour déterminer le seuil d’effectif et l’obligation d’organiser un entretien préalable. Il est à noter toutefois que dans une décision de 2011(2), qui semble être restée isolée, la Cour d’appel avait retenu l’existence d’une EES en se basant principalement sur le fait que les adresses e-mail utilisées par toutes les entités du groupe comportaient une racine commune.

En cas de licenciement pour motif économique d’un salarié appartenant à un groupe de sociétés, à quel niveau faut-il apprécier l’existence d’un motif économique ?

Tout licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse qui peut, entre autres, être d’ordre économique, c’est-àdire liée aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise ou du service.

S’agissant du motif économique, il est admis que le chef d’entreprise est seul responsable du risque de son entreprise et qu’en corollaire il peut décider de la politique économique de son entreprise. Avec son pouvoir de direction, il peut prendre toutes les mesures qu’il estime nécessaires pour assurer la pérennité de son activité, telles que des mesures de réorganisation entraînant des réductions d’effectifs.

En revanche, l’employeur est tenu d’exposer précisément et de justifier les raisons qui ont conduit à la réorganisation (par exemple les difficultés économiques de la société), les mesures de réorganisation entreprises et l’impact de ces mesures sur le poste du salarié licencié.

Dans le cas de licenciements économiques au sein d’une société basée au Luxembourg appartenant à un groupe d’entreprises, diverses questions liées à la spécificité du groupe d’entreprises ont été soulevées devant les juridictions. Pour justifier le licenciement, l’employeur luxembourgeois doit-il prendre en considération la situation économique du groupe ? Le motif de licenciement peut-il être considéré comme réel et sérieux si le groupe dans son ensemble se porte bien alors que la société luxembourgeoise connaît des difficultés économiques ? Inversement, lorsque l’entité luxembourgeoise est profitable, un licenciement économique est-il justifié au motif qu’une réorganisation globale a été décidée au niveau du groupe ?

Certaines tendances se dégagent de la jurisprudence.

Le courant jurisprudentiel majoritaire tend à considérer que la situation économique du groupe n’a pas à être prise en considération. Il suffit que la société, voire simplement un département ou une branche d’activité, rencontre des difficultés économiques ou décide d’entreprendre une réorganisation pour améliorer sa rentabilité. Les bons résultats obtenus par le groupe ne sont pas de nature à ébranler la justification de la décision de l’entité luxembourgeoise de rationaliser ses coûts. Le juge ne peut pas se substituer à l’employeur pour apprécier si la mesure de licenciement était appropriée ou non, sauf au salarié licencié à établir que le motif économique n’était qu’un prétexte pour se défaire de lui.

Toutefois, la jurisprudence a apporté des dérogations à ce principe en prenant en considération la situation du groupe dans l’appréciation du motif économique de licenciement dans certains cas particuliers :

  • le lien de dépendance de la société luxembourgeoise par rapport au groupe : une décision de 2012(3) a considéré qu’il était nécessaire d’examiner les difficultés économiques au niveau du groupe en se basant sur la notion de « co-employeurs » développée par la jurisprudence française. Dans cette situation particulière, il a été constaté que la société luxembourgeoise n’avait aucune autonomie par rapport à la société anglaise qui la contrôlait. Par conséquent, les difficultés économiques alléguées au niveau de l’entité luxembourgeoise auraient dû être appréciées par rapport à l’ensemble du groupe ;
  • la situation du salarié ayant une fonction transversale au sein du groupe : dans une décision de 2008(4), la Cour d’appel a considéré qu’il était insuffisant de prendre en considération la situation de la société basée au Luxembourg. En l’espèce, le salarié licencié, bien qu’embauché par une société luxembourgeoise, exerçait ses fonctions en tant que Deputy Manager pour le groupe.

S’agissant d’un rôle transversal défini par rapport au groupe, la Cour a requis la prise en compte de la situation du groupe dans son ensemble :

  • le licenciement lié à une réorganisation au niveau du groupe : si le licenciement au Luxembourg résulte d’une réorganisation globale décidée et mise en oeuvre au niveau du groupe, la justification du motif de licenciement nécessite une appréciation au niveau du groupe, peu important la situation particulière, et notamment les résultats générés par la société au Luxembourg. Il est toutefois recommandé dans ce cas de motiver le licenciement tant au regard de la situation du groupe que de celle de la société luxembourgeoise en tant qu’employeur.

Me Marielle Stevenot, Partner, Employment PwC Legal.
Me Marielle Stevenot, Partner, Employment PwC Legal

Me Mona-Lisa Pierre, Senior Associate, Employment PwC Legal

(1) CSJ, 8e, 30/04/2015, n° 39882.
(2) CSJ, 17/03/2011, n° 36198.
(3) CSJ, 3e, 01/03/2012, n° 37078.
(4) CSJ, 28/02/2008, n° 30523.