Le 22 mars 2018, le Luxembourg a adopté un nouveau dispositif fiscal en faveur de certains droits de propriété intellectuelle (PI)(1). Celui-ci était très attendu depuis l’abrogation, en juillet 2016, du dispositif préexistant(2), connu sous le nom d’IP Box. Il vise à se conformer au plan d’action BEPS(3) adopté en 2015 par l’OCDE et le G20 qui invitait les États européens à revoir leur copie à l’égard des régimes fiscaux préférentiels en matière de PI.

En synthèse, il était reproché à l’IP Box luxembourgeoise, comme d’ailleurs à ces équivalents irlandais, belges, néerlandais, hongrois ou chypriotes de favoriser l’évasion scale en permettant de transférer artificiellement des bénéfices vers des régimes à taux d’imposition réduits (moins de 6% environ de taux effectif pour le Luxembourg). Les avantages scaux favorables aux droits de PI ne sont pas remis en cause dans leur principe, mais ceux-ci doivent avoir un lien plus étroit avec une activité réelle liée à l’innovation.

Avec cette version revisitée de l’IP Box, le Luxembourg emboîte le pas de la nouvelle Innovation-Box entrée en vigueur aux Pays-Bas en janvier 2017, de l’IP-Box belge modifiée en février 2017 et de la Knowledge-Box irlandaise amendée en avril 2017.

En quoi consistent les nouvelles mesures ?

La première version de l’IP Box permettait, en substance et sous certaines conditions, de bénéficier d’une exonération d’impôts jusqu’à 80 % sur les revenus tirés de l’exploitation d’un brevet, d’une marque, d’un dessin et modèle, d’un logiciel ou d’un nom de domaine par une structure imposée au Luxembourg.

L’IP Box II s’applique, quant à elle, uniquement aux inventions protégées (par un brevet ou un certi cat d’obtention végétale notamment) et aux logiciels, créés, acquis ou améliorés après le 31 décembre 2007. Les marques, les dessins et modèles, et les noms de domaine sont donc exclus du dispositif.

L’exonération de 80 % est maintenue, mais est désormais liée à l’existence d’une activité réelle, qui se mesure grâce aux dépenses de développement. L’exonération de 80 % se calcule donc sur les revenus éligibles ajustés et compensés en fonction du « ratio du lien » (« modified nexus approach »). Ce ratio s’obtient en divisant les dépenses éligibles(4) (c’est-à-dire pour l’essentiel les frais de développement extra-groupe(5)) par les dépenses totales (les dépenses éligibles, les coûts d’acquisition et les frais de développement intra-groupe) en rapport direct avec la constitution ou le développement d’une invention protégée ou d’un logiciel. Les intérêts et frais de nancement ainsi que les coûts immobiliers ne sont pas pris en compte.

Ce ratio permet de déterminer la part susceptible de bénéficier de l’avantage fiscal parmi les redevances perçues en contrepartie de la concession de licences, le revenu dégagé en cas de cession, les indemnités obtenues dans le cadre d’un litige ou encore la proportion du prix de vente d’un produit ou d’un service en lien direct avec l’invention ou le logiciel.

L’IP Box II s’applique uniquement aux inventions protégées (par un brevet ou un certificat d’obtention végétale notamment) et aux logiciels, créés, acquis ou améliorés après le 31 décembre 2007. Les marques, les dessins et modèles, et les noms de domaine sont donc exclus du dispositif.

Qu’est-ce que cela implique en pratique ?

L’objectif est de stimuler les activités de recherche et développement (R&D) puisque le montant de l’avantage scal dépend de leur importance. Les structures luxembourgeoises qui se contentent de détenir des portefeuilles de marques seront, à terme, exclus du régime. Il en est de même de celles qui détiennent des brevets ou des logiciels sans poursuivre d’efforts de développement réels (les fameux patent trolls). Les activités de R&D doivent être réalisées par le contribuable lui-même au Luxembourg ou, sous certaines conditions, au sein d’un établissement stable européen dont il contrôle et assume les risques. Elles peuvent également être externalisées mais pas auprès d’une entreprise parente.

Concrètement, cela implique plus de substance au Luxembourg et une grande discipline afin de documenter les ux puisqu’il faudra justifier auprès de l’administration scale des dépenses directement exposées pour la constitution ou l’amélioration de l’invention ou du logiciel en distinguant celles qui sont éligibles de celles qui ne le sont pas. Le ratio « dépenses éligibles/dépenses totales » est en plus à calculer chaque année en tenant compte des dépenses antérieures.

Le nouveau régime est donc assurément plus complexe que l’ancien et probablement moins adapté aux PME. Une circulaire de l’administration des contributions directes sera d’ailleurs la bienvenue pour apporter un certain nombre d’éclaircissements pratiques.

Le nouveau système est-il compétitif en Europe ?

Le plan d’action BEPS laissait relativement peu de marge de manœuvre aux États membres, notamment en leur imposant d’exclure du régime préférentiel un certain nombre de droits, dont les marques, mais en permettant d’inclure les logiciels aux côtés des inventions protégeables par un titre de propriété industrielle. Le Luxembourg, dont l’IP Box I couvrait déjà les logiciels, se trouve ainsi rattrapé par les autres Etats membres qui ont profité de la mise en conformité au plan BEPS pour élargir leur régime préférentiel à tous les types de logiciels (Belgique, Pays-Bas, Irlande, notamment).

La liste des actifs intellectuels susceptibles de bénéficier d’avantages fiscaux est donc à présent relativement harmonisée en Europe. Les différences de taux effectif d’imposition entre les différentes IP Box européennes ne semblent plus significatives. De manière habile toutefois, la loi luxembourgeoise a retenu une application aux inventions et aux logiciels créés après le 31 décembre 2007, là où la plupart des autres législations ont retenu des dates concomitantes à leur entrée en vigueur.

L’essentiel se jouera donc vraisemblablement ailleurs que sur le terrain du régime scal des droits de PI. La qualité des infrastructures techniques de chaque État membre aura un rôle crucial à jouer.

Ce dispositif peut-il être considéré comme un soutien à l’innovation ?

Le lien avec l’innovation technologique est clair. Toutefois, les nouvelles mesures fiscales visent à récompenser les efforts d’innovation pour autant qu’ils aient abouti à un brevet (ou assimilé) ou un logiciel générant des revenus. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une aide à l’innovation dans la mesure où de longues années de recherche sont généralement nécessaires avant de déboucher sur une invention brevetable exploitable. Les secteurs où le software a un rôle central, telles que les FinTech par exemple, qui connaissent souvent des cycles de développement et de mise en production plus courts, pourront en principe profiter de cet avantage fiscal à plus brève échéance. Les mécanismes d’aides étatiques, tels que ceux issus de la loi du 17 mai 2017(6), ont alors toute leur importance pour soutenir le lancement de projets innovants au Luxembourg.

Claire Leonelli, Associée
Claire Leonelli, Associée
Elisabeth Guissart, Associée
Elisabeth Guissart, Associée

(1) Article 50ter de la Loi sur l’Impôt sur le Revenu (L.I.R)

(2) Ce régime prévu par l’article 50bis de la L.I.R, en vigueur depuis le 1er janvier 2008, bénéfice, sous certaines conditions, d’une survivance jusqu’au 30 juin 2021.

(3) Rapport final de l’Action 5 intitulé Lutter plus efficacement contre les pratiques scales dommageables.

(4) Les dépenses éligibles étant majorées jusqu’à concurrence de 30 % si le total majoré n’excède par les dépenses totales.

(5) C’est-à-dire par une entreprise non liée au sens de l’article 56 de la L.I.R., soit des développements réalisés par une entreprise dont le contribuable ne participe pas directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital, ou une entreprise qui n’est pas dirigée, contrôlée ou détenue, directement ou indirectement, par les mêmes personnes que le contribuable.

(6) Loi modifiée du 17 mai 2017 relative à la promotion de la recherche, du développement et de l’innovation.