Les évolutions considérables de l’économie numérique auxquelles nous assistons défient les règles en matière de taxe indirecte, engendrant le doute pour les assujettis à la taxe et créant de nouvelles préoccupations pour les administrations fiscales. 

Comment le passage à l’ère du numérique peut-il affecter notre taxe sur la consommation, et plus particulièrement la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) ? Un premier élément clé touche aux principales différences existant entre les règles de détermination du traitement TVA liées aux livraisons de biens et celles applicables aux prestations de services. Ainsi, lorsque vous devez déterminer le traitement TVA applicable à vos transactions commerciales, il convient de se poser la question suivante : « est-ce un bien ou un service ? ».

Des biens qui deviennent services…

La directive européenne(1) considère comme prestation de services toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens, un bien étant généralement un objet physique et tangible.

Néanmoins, suite à l’évolution croissante du numérique, la frontière entre la notion de biens et de services devient de plus en plus mince. L’impression 3D, par exemple, consistant en l’utilisation d’un service afin de produire des biens tangibles dans un endroit donné conduit à des questions controversées sur le traitement TVA à appliquer. Il s’agit en effet de savoir si l’impression 3D doit être qualifiée de prestation de services ou de livraison de biens.

Autre conséquence de ce nouvel âge du numérique : la transformation de la nature des objets. Ceux-ci vendus dans le passé sous forme de biens sont de nos jours de plus en plus distribués en tant que services. A titre illustratif, les ventes de livres imprimés et de CD (biens) sont concurrencées par les ventes de livres numériques et autres services de téléchargement de musiques en ligne (services).

De nos jours, les services numériques peuvent en effet couvrir divers domaines tels que les services de télécommunication, de stockage dans un cloud, de jeux en ligne, de téléchargements de musiques de films ou de publicité et d’abonnement à des publications en ligne.

Quid de l’impact TVA ?

Etant donné que des services peuvent être fournis de n’importe quel endroit en faveur de consommateurs dont il est souvent difficile de déterminer le lieu de résidence, la nouvelle tendance vers le numérique est perçue par beaucoup de pays comme une menace significative pour leurs recettes nationales, mais également un enjeu concurrentiel important pour leurs prestataires de services locaux.

En réponse à cela, bon nombre de gouvernements dans le monde réfléchissent aux possibilités de clarification et d’adaptation de leur législation TVA (ou autres taxes sur la consommation) aux nouveaux services numériques. De plus en plus, les prestataires sont tenus de s’immatriculer à la TVA dans le pays du consommateur final afin de collecter et verser la taxe au Trésor public. Au niveau mondial, à l’instar du régime existant en Europe, le lieu de taxation est de plus en plus considéré comme étant l’endroit où est établi le consommateur (considéré comme le lieu de consommation).

… et des moyens de paiement qui se dématérialisent

Le développement de la technologie numérique affecte non seulement la façon dont les biens et les services sont catégorisés et soumis à la TVA mais également la façon dont ces transactions sont payées par les clients. A l’heure actuelle, les paiements peuvent être réalisés par les clients à n’importe quel moment et n’importe quel endroit.

Les différents modes de paiements électroniques peuvent prendre diverses formes : paiement au point de vente, portefeuille électronique et smartphone utilisés lors du passage en caisse par exemple) ; plateformes de paiements (solutions en ligne pour transférer de l’argent d’un compte à un autre par exemple) ; paiement via un opérateur téléphonique et paiement closed loop (carte de crédit virtuelle liée à un fournisseur unique par exemple) et ainsi avoir des incidences différentes en matière de TVA.

Quid de l’impact TVA ?

La directive TVA européenne a été pensée et rédigée sur base d’un modèle économique datant d’il y a 60 ans. Cette directive se révèle à ce jour inadéquate et obsolète, notamment au regard de nouvelles technologies telles que les nouveaux moyens de paiements électroniques.

Les règles TVA dans ce domaine sont complexes avec peu d’harmonisation entre les pays. Si les aspects TVA des transactions effectuées ne sont pas soigneusement analysés à l’avance, un fournisseur peut ainsi se retrouver redevable d’une TVA non anticipée, ce qui peut donc entraîner une érosion de sa marge bénéficiaire ou avoir une incidence sur sa compétitivité en matière tarifaire. A tout cela peuvent s’ajouter des pénalités pour non-respect des obligations en matière de TVA.

Les paiements électroniques se trouvent à l’intersection de deux secteurs différents (services financiers et de télécommunication) – chacun ayant ses spécificités d’un point de vue TVA et commercial. En fonction de l'endroit où les différents acteurs opèrent dans la chaîne d'approvisionnement, les conséquences sur le traitement TVA applicable peuvent varier et avoir des impacts significatifs. Chaque partie doit tenir compte du statut dans lequel elle agit et évaluer sa possible redevabilité à la TVA par rapport aux différents flux de revenus. Les relations contractuelles et commerciales doivent donc être clairement réfléchies et définies.

Bien que les services de paiement soient généralement considérés comme exonérés de TVA, la portée d'une telle exemption a souvent engendré des questions soumises à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par les juridictions nationales d’Etats membres.

Les paiements dématérialisés et virtuels sont en constante progression de popularité au regard du développement technologique, de la démocratisation des appareils électroniques et de la démocratisation des connexions Internet haut débit. Les moyens de paiement les plus communs utilisés comme alternatives à l’argent liquide sont les cartes de débit et de crédit, mais d’autres moyens voient le jour.

Chaque moyen de paiement (traditionnel ou électronique) possédant ses propres caractéristiques, il en résulte un traitement TVA potentiellement différent. Situation bel et bien complexe !

Ainsi, une société commerciale pouvant déduire la TVA peut se retrouver dans le champ d’application de l’exonération de la TVA avec, pour conséquence, un droit limité à récupération de la TVA en amont. Par ailleurs, les institutions financières sont placées devant de nouveaux défis liés à la fourniture de services électroniques.

Ce type de chaîne d'approvisionnement implique en effet l’existence de plusieurs intermédiaires, agents et autres fournisseurs de services. Les différents acteurs engagés devront prendre en considération la totalité de la chaîne d'approvisionnement et les nombreuses conséquences TVA dont notamment celles liées aux obligations déclaratives.

Si la technologie prend parfois le pas sur les lois fiscales, notamment en matière de TVA, il convient donc d’analyser et d’anticiper les ambitions et objectifs de votre société en termes de produits et d’innovations pour ainsi apprécier au mieux les impacts en matière de TVA et pouvoir se conformer aux obligations fiscales dans les délais imposés. 

Yannick Zeippen - Département Indirect Tax Advisory - EY Luxembourg
Yannick Zeippen - Département Indirect Tax Advisory - EY Luxembourg
Colin Hac - Département Indirect Tax Advisory - EY Luxembourg
Colin Hac - Département Indirect Tax Advisory - EY Luxembourg

(1) Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.