Les drones, ou Remotely Piloted Aircraft Systems (RPAS), peuvent être définis comme des aéronefs inhabités pouvant voler de façon autonome ou être contrôlés à distance depuis le sol. 

Cette nouvelle technologie, d’origine militaire, connaît depuis une quinzaine d’années un réel engouement commercial compte tenu des perspectives d’exploitation qu’elle offre, comme par exemple surveiller l’avancement de chantiers, livrer des biens ou des médicaments à domicile, ou procéder à l’inspection de bâtiments.

Si les avantages tirés de l’utilisation commerciale des drones sont indéniables, il ne faut pas oublier que ceux-ci sont susceptibles de causer une menace pour la sécurité des personnes survolées ou pour les intérêts militaires, ainsi que l’ont démontré les dernières actualités(1).

Une technologie sous la visée des législateurs

Devant les dangers générés par les drones, une grande partie des Etats membres de l’Union européenne, notamment la France et la Belgique, se sont dotés de législations spécifiques pour encadrer l’utilisation des drones à des fins commerciales. Aux Etats- Unis, la première législation permettant la livraison par drone à des fins commerciales vient tout juste d’être publiée et la Suisse teste actuellement la livraison du courrier par drone.

Au Grand-Duché de Luxembourg, aucune législation spécifique n’a encore vu le jour. Les règles communes relatives à la navigation civile aérienne ont partant vocation à s’appliquer(2), et notamment l’obligation de solliciter de la Direction de l’Aviation Civile (DAC) l’autorisation préalable d’exploiter un drone, sous peine de sanctions pénales. A noter qu’une telle autorisation n’est accordée que pour un événement particulier et non de manière générale.

En outre, les pilotes de drones sont invités à respecter un certain nombre de consignes de sécurité contenues dans le Code de bonne conduite élaboré par la DAC, telles que l’obligation d’effectuer le vol à vue et de jour, de ne pas survoler certaines zones « sensibles » ou de respecter la vie privée des personnes survolées.

Cette réglementation sera amenée à évoluer dans un avenir proche, la DAC ayant été chargée, au courant de l’année 2015, de travailler sur un projet de législation visant à spécifier le cadre juridique lié à l’utilisation des drones. Un projet de règlement grand-ducal visant les drones de loisir devrait être finalisé pour la rentrée 2016, celui visant plus spécifiquement les activités commerciales est annoncé au cours de l’année 2017. La Commission européenne a également annoncé vouloir réglementer ce secteur à l’échelle européenne.

Une technologie intrusive

Hormis les risques inhérents en termes de sécurité liés à leurs conditions d’utilisation, des considérations éthiques s’invitent également aux débats puisque les drones peuvent permettre, à l’instar d’autres technologies en plein développement, comme les dashcams, de filmer, photographier ou encore enregistrer des sons ou des images.

Une technologie permettant de s’immiscer dans la vie privée

Il est de principe que chacun a droit au respect de sa vie privée(3), ce qui signifie que toute personne a, sur son image et l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s’opposer à tout usage non autorisé par elle. Ce principe est toutefois assorti d’exceptions, notamment pour les personnes qui auraient été photographiées au sein d’une foule de personnes dans un lieu public, mais qui ne seraient pas clairement identifiables sur la photographie.

L’enregistrement et l’utilisation d’images prises par le biais d’un drone est ainsi sujette à l’autorisation préalable des personnes concernées, à partir du moment où celles-ci sont clairement identifiables, laquelle pourrait par exemple se concevoir, pour des salariés, par le biais d’une clause insérée dans leur contrat de travail. A défaut, l’usage desdites images serait passible de dommages et intérêts, voire d’une peine d’emprisonnement et/ ou d’une amende.

Une technologie pouvant s’apparenter à un traitement de données à caractère personnel

Toute information, de quelque nature qu’elle soit et indépendamment de son support, y compris le son et l’image, concernant une personne physique identifiée ou identifiable, constitue une donnée à caractère personnel.

Ainsi, la collecte d’images, y compris la plaque d’immatriculation d’un véhicule, ou de sons, par un drone, est susceptible de s’analyser comme un traitement de données à caractère personnel, à partir du moment où (i) le traitement est automatisé ou que les données sur lesquelles il porte sont contenues dans un fichier structuré, et où (ii) les personnes visées sont identifiables.

Cela a pour conséquence que ledit traitement ne pourra être licite que s’il remplit les prescriptions imposées par la loi, à savoir notamment poursuivre l’un des buts légitimes prévus par la loi(4) et, le cas échéant, avoir été notifié ou autorisé préalablement par la Commission Nationale pour la Protection des Données (CNPD). A défaut, il serait passible de sanctions administratives, pénales, voire de dommages et intérêts.

A noter que la surveillance continue sur le lieu de travail n’est en tout état de cause pas autorisée par la CNPD, qui considère une telle mesure comme disproportionnée au regard des droits et libertés des personnes visées par la surveillance.

Une technologie au service de la preuve ?

De plus en plus de personnes ont recours à des dashcams qu’elles installent à l’intérieur de leur véhicule pour enregistrer la circulation routière et en faire usage en cas d’accident.

La tentation pourrait être grande d’utiliser les drones à ces mêmes fins, par exemple afin de faire la preuve d’un sinistre.

La CNPD a expressément pris position sur l’utilisation des dashcams à titre probatoire. Celle-ci estime qu’un tel usage est illicite au regard de la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel alors qu’une telle surveillance des usagers de la route ne poursuit pas la réalisation d’un des buts légitimes limitativement prévus par la loi susvisée et se heurte au principe de proportionnalité et de transparence.

Au-delà de la légalité d’un tel usage, se pose la question de la valeur probatoire des enregistrements réalisés via ces nouveaux outils de surveillance.

Si la jurisprudence pénale semble plutôt favorable à l’admissibilité de telles preuves, les enregistrements faits par dashcams ou drones seront probablement considérés, sur le plan civil, comme une prevue obtenue unilatéralement, et par conséquent, discutables et réfutables quant à leur valeur probante.

Me Claire Denoual - Avocat à la Cour - Senior Associate IP/IT & Media et Business & Commercial
Me Claire Denoual - Avocat à la Cour - Senior Associate IP/IT & Media et Business & Commercial
Me Virginie Liebermann - Avocat à la Cour - Senior Associate Business & Commercial et Employment, Pensions & Immigration
Me Virginie Liebermann - Avocat à la Cour - Senior Associate Business & Commercial et Employment, Pensions & Immigration

(1) Avril 2015, un drone téléguidé survole l’aéroport de Luxembourg ; avril 2016, un Airbus A320 heurte, sans dommages, un drone dans sa phase d’atterrissage sur l’aéroport d’Heathrow ; février 2016 : collision évitée de peu à Roissy.

(2) Notamment loi du 31 janvier 1948 relative à la réglementation de la navigation aérienne, telle que modifiée, et règlement grand-ducal du 8 août 1985 concernant les autorisations de faire des transports aériens.

(3) Notamment article 1er de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée.

(4) Articles 5, 10 et 11 de la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel, telle que modifiée.