Depuis de nombreuses années, le détachement de salariés fait couler beaucoup d’encre au sein de l’Union européenne. Mécanisme indispensable à l’un des piliers de l’Union que constitue la libre prestation de services, le détachement est souvent critiqué pour favoriser le « dumping social », par le recours à des entreprises situées dans des pays à faible coût salarial au détriment des entreprises des Etats membres dans lesquels le coût du travail est plus élevé.

Afin d’encadrer le détachement et de tenter de lutter contre ses effets néfastes sur la concurrence entre les entreprises communautaires, le détachement de salariés a d’abord fait l’objet d’une directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996. Une directive d’exécution 2014/67/UE du 15 mai 2014 est venue compléter la directive de 1996 afin de renforcer les mesures de lutte contre les contournements des règles en la matière et la protection des salariés détachés. Cette directive d’exécution a été transposée au Luxembourg par une loi du 14 mars 2017 qui a modifié les articles L. 141-1 et suivants du Code du travail et inséré un nouvel article L. 281-1.

Le présent article fait un tour d’horizon du cadre juridique actuel en matière de détachement de salariés au Luxembourg au regard des dispositions de droit du travail découlant notamment des directives communautaires. Ces dispositions doivent être prises en compte par l’entreprise étrangère détachant des salariés au Luxembourg, mais également, dans une certaine mesure, par l’entreprise luxembourgeoise ayant recours aux services de l’entreprise étrangère, car elle est susceptible d’engager sa responsabilité dans certains cas.

Concept de détachement

Pour rappel, le détachement consiste dans l’affectation temporaire par l’employeur d’un salarié à un lieu d’exécution du travail différent de celui figurant au contrat de travail, pour une durée limitée et moyennant maintien du lien de subordination entre le salarié et son employeur, l’entreprise d’envoi. Contrairement aux règles en matière d’affiliation à la sécurité sociale au sein de l’Union européenne, le détachement n’est pas nécessairement limité à une période de 24 mois (même s’il est par définition temporaire).

Dans les relations entre l’employeur qui détache son salarié et l’entreprise luxembourgeoise auprès de laquelle le salarié détaché effectue son travail, le détachement se matérialise en principe par la conclusion d’un contrat de prestation de services.

Sous l’angle de la législation luxembourgeoise du travail, plusieurs aspects doivent être pris en considération en cas de détachement au Luxembourg.

Droit applicable à la relation de travail pendant le détachement

Pendant la durée du détachement du salarié au Luxembourg, son contrat du travail perdure et le salarié reste soumis au droit du travail de son pays d’origine (ou celui indiqué dans son contrat). Toutefois, certaines règles d’ordre public du droit luxembourgeois lui sont applicables, à savoir principalement celles en matière de durée du travail et repos minimal, congés payés, salaire social minimum, sécurité, santé et hygiène au travail, et non-discrimination. Ces dispositions sont destinées à éviter le « dumping social » en obligeant l’entreprise détachante à accorder un minimum de droits équivalents à ceux des salariés luxembourgeois.

A noter que même si ces règles de protection minimale découlent de la directive 96/71/CE, elles s’appliquent également aux salariés détachés par des entreprises situées hors de l’Union européenne.

Interdiction de la mise à disposition de personnel

Le Code du travail interdit, sauf exception, la mise à disposition de personnel, c’est-à-dire le fait pour une entreprise de transférer à une autre tout ou partie du lien de subordination vis-à-vis de son salarié. Dans le cadre d’un détachement au Luxembourg, l’entreprise d’accueil doit donc veiller à ne pas exercer de pouvoir hiérarchique et disciplinaire sur le salarié détaché. C’est l’employeur, entreprise d’envoi, qui doit, pendant toute la durée du détachement, continuer à contrôler l’exécution du travail, évaluer et sanctionner le salarié et à gérer la relation de travail au quotidien (approbation des congés, contrôle des horaires, etc.). A défaut, l’entreprise luxembourgeoise est passible de sanctions civiles et pénales.

Déclaration préalable et badge social

Afin de permettre le contrôle du respect des dispositions en matière de détachement, l’entreprise d’envoi est tenue de déclarer le détachement de salariés via une plateforme électronique dédiée (https://guichet.itm.lu/edetach). Cette déclaration, accompagnée des documents listés à l’article L. 142-3 du Code du travail, doit avoir lieu au plus tard au début de l’exécution des prestations sur le territoire luxembourgeois. Sur base de cette déclaration, l’ITM délivrera à chaque salarié détaché un badge social que le salarié devra conserver avec lui pendant le détachement. Une personne de référence, présente sur le territoire luxembourgeois, doit être désignée avec pour mission d’assurer le lien avec l’administration.

Bien que les termes de la loi soient très larges et visent a priori tout type de travail effectué sur le territoire luxembourgeois, quelles qu’en soient la nature et la durée (y compris pour une journée ou quelques heures), l’ITM semble considérer que ne sont pas soumis à déclaration les détachements intragroupes, les participations à des séminaires ou formations et les réunions de travail, pour autant qu’aucune prestation de services en tant que telle ne soit effectuée.

Tout changement ultérieur à la déclaration doit être communiqué à l’ITM via la plateforme électronique.

En cas de non-respect des obligations relatives à la déclaration de détachement, l’entreprise détachante encourt une amende administrative (entre 1.000 EUR et 5.000 EUR par travailleur détaché avec un maximum de 50.000 EUR) et la cessation des travaux en fonction des circonstances et de la gravité des infractions. En 2017, plus de 1.700 contrôles ont été effectués par l’ITM et plus de 320 entreprises ont été sanctionnées.

Responsabilité du donneur d’ordre

Une des grandes nouveautés introduites par la loi de mars 2017 est le rôle actif requis de la part de l’entreprise luxembourgeoise (donneur d’ordre) qui fait appel aux services de l’entreprise étrangère. Elle doit en premier lieu informer l’ITM du recours à l’entreprise détachante. Par ailleurs, en cas de notification par l’ITM d’une violation par l’entreprise détachante des règles protectrices applicables aux salariés détachés, elle est tenue d’enjoindre à l’entreprise détachante, par lettre recommandée avec accusé de réception, de respecter la réglementation applicable. Enfin, en l’absence de réponse écrite de l’entreprise détachante dans les 15 jours calendaires à compter de la notification de l’infraction, l’entreprise donneuse d’ordre doit en informer immédiatement l’ITM.

A noter que ces obligations s’appliquent également pour toutes les entreprises de la chaîne de sous-traitance.

En cas de manquement aux obligations susmentionnées, l’entreprise donneuse d’ordre encourt la même amende administrative que l’entreprise d’envoi. En outre, elle pourra être tenue solidairement responsable avec l’entreprise détachante fautive du paiement des rémunérations, charges et indemnités éventuellement dues aux salariés détachés. La responsabilité sera néanmoins limitée aux droits acquis par le salarié pendant la durée du détachement pour son compte.

Autres aspects à prendre en considération en cas de détachement

En sus de la législation du travail, le détachement de salariés au Luxembourg nécessite la prise en considération de plusieurs autres réglementations :

  • législation en matière d’immigration : selon la nationalité du salarié détaché (ressortissant d’un pays non-membre de l’UE, de l’EEE ou de la Confédération Suisse), la nationalité de l’entreprise d’envoi et la durée du détachement, le salarié pourra être tenu d’obtenir au préalable un titre de séjour afin de pouvoir séjourner et travailler au Luxembourg. Plusieurs types de titres de séjour, répondant chacun à des critères d’obtention et formalités spécifiques, couvrent la situation des travailleurs détachés au Luxembourg ;
  • législation en matière de sécurité sociale : le salarié détaché peut en principe obtenir le maintien de son affiliation au régime de sécurité sociale du pays d’origine pendant la durée du travail effectué au Luxembourg. Le maintien d’affiliation obéit ici aussi à des conditions spécifiques, en termes de durée du détachement et de formalités, selon que le pays d’envoi est membre de l’UE, partie à l’EEE ou est la Confédération Suisse, ou qu’il existe ou non une convention bilatérale en matière de sécurité sociale conclue entre le Luxembourg et le pays d’envoi ;
  • législation en matière de fiscalité : l’entreprise détachante devra envisager tant les impacts de la période d’emploi de son salarié au Luxembourg sur les obligations de ce dernier en matière de fiscalité personnelle (une partie d’impôt pouvant être due au Luxembourg) que les conséquences de l’exécution de la prestation de services sur la possible création d’un établissement stable au Luxembourg.

Perspectives d’évolution

La conciliation de la liberté de prestation de services avec les impératifs de protection des salariés détachés et de concurrence loyale est un délicat équilibre. Le cadre juridique actuel en matière de détachement est encore appelé à évoluer dans les prochains mois ou années au vu des projets de réglementation en cours de discussion aux niveaux européen et luxembourgeois :

  • une directive 2018/957 du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE a été adoptée, avec notamment pour objectif d’imposer aux entreprises détachantes de respecter dans le pays d’accueil non seulement le salaire social minimum, mais également les autres éléments de rémunération rendus obligatoires par la loi ou la convention collective déclarée d’obligation générale (p.ex. prime, 13e mois, etc.). En outre, en cas de détachement de longue durée (plus de 12 mois), toutes les conditions de travail prévues par la loi du pays d’accueil, sauf celles en matière de conclusion et résiliation du contrat et de régime complémentaire de pension, seront applicables au salarié détaché. Cette directive devra être transposée en droit luxembourgeois au plus tard le 30 juillet 2020. A noter qu’elle n’est pas applicable au secteur du transport routier pour lequel les règles de la directive 96/71/CE resteront d’application jusqu’à nouvel ordre ;
  • un projet de loi n° 7319 déposé le 20 juin 2018 est actuellement en cours de discussion à la Chambre des députés avec pour objectif d’assouplir quelque peu les obligations déclaratives pour certains détachements de courte durée. Seraient ainsi dispensés de la déclaration à l’ITM et de l’obtention du badge social (i) les détachements de salariés qualifiés ou spécialisés pour des travaux d’entretien, de maintenance ou de réparation des machines et, (ii) les déplacements en vue d’exercer des activités comme formateur, conférencier ou orateur ainsi que l’assistance à des formations, conférences ou réunions de travail, à condition que la durée des travaux en question n’excède pas 5 jours de calendrier par mois.
Me Marielle Stévenot, MNKS
Me Marielle Stévenot, MNKS
Me Maude Reisman, MNKS
Me Maude Reisman, MNKS