Le cadre réglementaire de la distribution de produits d’assurance a déjà fait l’objet d’importantes modifications au cours des 24 derniers mois. La vigilance et l’anticipation s’imposent !

Les compagnies d’assurances vie cherchent toujours le bon calibrage dans l’application du règlement européen PRIIP (Packaged Retail Investment and Insurance-based Products), et plus particulièrement dans les modalités de mise à disposition d’informations relatives aux supports de leurs produits

L’ensemble du secteur est encore en phase de transition suite à la transposition de la directive distribution (Insurance Distribution Directive–IDD), notamment dans les précisions consignées dans le règlement 19/01 du Commissariat aux Assurances publié en février dernier. Le métier de l’intermédiation en assurances, qu’il soit une activité à plein temps ou à titre accessoire, a vu la formalisation de son cadre réglementaire gagner en intensité par ce biais

L’évolution du cadre réglementaire va probablement influer sur les réseaux de distribution sur le marché local et à l’international. Ils devraient voir grandir l’emprise des compagnies d’assurances qui gardent la main sur la conception des produits. Une mutation importante qui n’envisageait cependant pas encore la portée des derniers développements en matière fiscale.

Des modèles de distribution remis en cause ?

Dans le cadre de ses travaux sur BEPS (Base Erosion Profit Shifting), l’OCDE a élargi la notion d’établissement stable afin de lutter contre les cas d’évitement artificiel. Ces développements risquent de « bousculer » les modèles actuels de distribution des assureurs luxembourgeois, en particulier sur le marché français.

En effet, la nouvelle définition élargit la notion d’agent dépendant (qui reposait précédemment sur la notion de « centre de décision ») pour y inclure aussi une notion « d’animation commerciale ». En outre, elle restreint la notion d’agent indépendant.

Bien que le Luxembourg n’ait pas opté pour cet élargissement de la définition en adoptant la Convention multilatérale, la nouvelle convention fiscale signée entre le Luxembourg et la France (qui devrait entrer en vigueur en 2020) suit néanmoins l’approche de l’OCDE sur ce point.

Par conséquent et dès 2020, lorsqu’un assureur luxembourgeois sera actif en France sous le régime de la libre prestation de services, il pourra être considéré comme ayant un établissement stable en France. Le maintien d’un établissement stable devra être déclaré auprès des autorités fiscales françaises, sans quoi la société encourt un risque de taxation d’office pour y avoir exercé une activité occulte. En outre, cet assureur encourt aussi un risque de double taxation si les autorités fiscales françaises et luxembourgeoises ne sont pas d’accord sur la répartition des revenus entre les deux pays. Il est dès lors vivement conseillé d’anticiper ces changements et d’analyser la situation pour déterminer si un établissement stable existe en France. Cette analyse est à faire au cas par cas sur base des faits et dépendra de la configuration des canaux de distribution de chaque acteur : réseau d’agents d’assurances, vente directe à l’international via une équipe de commerciaux ou encore recours à des courtiers.

En cas d’établissement stable en France, les revenus issus de l’activité réalisée sur ce territoire y seront imposés. Un dossier documentant les prix de transfert devra être préparé pour justifier de la répartition des profits entre la France et le Luxembourg.

C’est certainement une adaptation des modèles de distribution à l’international qui est à envisager afin de prendre en compte les derniers développements en matière fiscale. Il est dès lors conseillé d’anticiper ces changements car ces nouvelles pratiques seront à appliquer dès 2020. Le délai est court !

Transparence fiscale accrue : une tendance incontestable

La tendance actuelle s’oriente vers une transparence fiscale et des obligations de reporting accrues. La nouvelle directive 2018/822 dite DAC 6 vient compléter l’arsenal, en matière d’échanges d’informations. Désormais, il s’agit d’identifier et de reporter les transactions transfrontalières (Reportable Cross-border Arrangements– RCBA), porteuses de marqueurs fiscaux Hallmarks génériques et spécifiques précisés dans la directive

Certains marqueurs entraînent automatiquement une obligation de reporting alors que d’autres sont soumis à la condition que la transaction soit motivée par des raisons fiscales

Le reporting s’applique aux opérateurs, qualifiés d’intermédiaires au sens de DAC 6, en fonction de leur niveau d’intervention dans ces transactions ou, à défaut d’intermédiaire, au contribuable concerné.

Commencez, quitte à adapter !

Le reporting des transactions visées par DAC 6 commencera mi-2020 mais couvrira les transactions tombant dans le champ d’application effectuées déjà à compter du 25 juin 2018.

La directive DAC 6 doit encore être transposée en droit luxembourgeois au plus tard avant la fin de l’année. Le texte actuel de la directive soulève de nombreuses questions, notamment en ce qui concerne la notion d’intermédiaire, les caractéristiques des transactions à reporter (plus communément appelés Hallmarks), ou encore la procédure d’arbitrage en cas d’intermédiaires multiples

Dans l’attente de clarifications de la part du législateur luxembourgeois, l’analyse d’impacts de DAC 6 peut, dans une certaine mesure, s’inspirer des commentaires émis par l’OCDE ou de textes déjà émis dans d’autres Etats membres

Attendre la transposition luxembourgeoise, sans anticiper ce qui peut déjà l’être, est susceptible de vous exposer aux risques de ne pas être en mesure de tenir les délais en matière de conformité et de subir des pénalités.

Le « service après-vente » de Common Reporting Standard (CRS)

Les assureurs luxembourgeois sont soumis au reporting CRS depuis 2016. De plus en plus de clients de compagnies d’assurances luxembourgeoises sont approchés par l’administration fiscale de leur pays de résidence pour les questionner quant aux données reportées en 2017 (informations relatives à l’année 2016). Pour le moment, ces demandes proviennent essentiellement des administrations fiscales françaises, belges et italiennes. Il n’est pas à exclure que d’autres administrations fiscales suivent ce mouvement.

Des erreurs ou manquements dans les informations reportées ont, en effet, été découverts, particulièrement des erreurs de classification, données d’identification des parties prenantes incomplètes, ou encore une mauvaise compréhension ou interprétation de la notion de comptes non documentés, conduisant notamment à des cas de non-reportings.

L’assureur encourt alors un risque réputationnel et peut se retrouver face à des clients mécontents suite à la découverte d’informations erronées ou de montants mésestimés communiqués à leur administration fiscale respective. De plus, l’assureur encourt des pénalités en cas de non-reporting ou de reporting incomplet

Nous ne pouvons que conseiller une grande vigilance à ce sujet afin de limiter l’effet boomerang dans les prochaines années.

Anabela Lourenço Marques, Associate Partner, EY Luxembourg
Anabela Lourenço Marques, Associate Partner, EY Luxembourg
Brice Bultot, Associate Partner, EY Luxembourg
Brice Bultot, Associate Partner, EY Luxembourg