La participation financière des salariés désigne, dans son acception la plus large, tant l’intéressement aux bénéfices que la participation au capital. Aussi bien l’intéressement que la participation au capital procèdent d’une logique de convergence entre les intérêts de toutes les parties prenantes au sein d’une entreprise et auraient un impact significativement favorable sur son fonctionnement et sa performance(1).

Le droit luxembourgeois, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 août 2016 portant modernisation de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, renouvelle et élargit la palette d’outils permettant la mise en oeuvre des plans de participation financière des salariés. Ces instruments peuvent répondre aux enjeux auxquels font face toutes les entreprises et pas exclusivement les jeunes entreprises à forte croissance du secteur technologique ou les entreprises du secteur financier. 

Ambiance actualisation

L’intéressement aux bénéfices consiste, à travers la mise en place d’un système de primes collectives, dont le déclenchement est déterminé par l’atteinte d’objectifs de performance ou de résultat, à octroyer aux salariés d’une entreprise une fraction des bénéfices réalisés(2).

La participation au capital consiste quant à elle à associer les salariés non seulement aux bénéfices par l’accès au dividende, mais encore, pour partie aux processus de décisions, par l’octroi d’options de souscription ou d’achat d’actions (stock options), ou encore plus directement par l’attribution gratuite d’actions. Les pratiques de la participation au capital, selon que cet instrument s’adresse à une base large ou sélective de salariés, s’envisagent soit comme un instrument de motivation collectif des salariés, soit comme un instrument de gratification des cadres dirigeants(3).

Attribution et détention des actions

A la différence de nombreux Etats voisins, il n’existe pas au Grand-Duché de Luxembourg de régime légal d’intéressement des salariés aux bénéfices. Cependant, de très nombreuses entreprises luxembourgeoises mettent en oeuvre et pratiquent volontairement des plans d’intéressement.

De même, la mise en oeuvre des plans de stock options utilisée assez largement a pu contribuer quelque peu au développement de l’actionnariat salarié, bien que, dans l’ensemble, l’essentiel des plans mis en oeuvre soient des phantom stock options plans. Dans ce type de plans, les salariés bénéficiaires du plan n’entrent jamais en possession d’actions de la société, mais se voient remettre des units qui représentent en quelque sorte des actions virtuelles (4).

La loi sur les sociétés commerciales dans sa mouture antérieure à la loi de modernisation comportait d’ores et déjà des dispositions permettant à une société d’acquérir ses propres actions en vue de les distribuer à ses salariés ou de distribuer à ses salariés des actions autodétenues acquises, par exemple, à l’occasion de la sortie d’un actionnaire.

ans ce contexte, la loi du 10 août 2016 portant modernisation de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, à travers l’introduction d’un paragraphe 5 bis à l’article 32-3 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, a consacré le principe de l’attribution d’actions gratuites aux salariés et étoffé les moyens mis à la disposition des employeurs pour mettre en oeuvre des plans de participation financière.

Les dispositions insérées par la loi du 10 août 2016 sont pour l’essentiel modelées sur les articles L. 225-197-1 à L. 225-197-6 du Code de commerce français et autorisent, dès lors que les statuts le prévoient, d’attribuer à des membres du personnel salarié d’une société ou à ses mandataires sociaux des actions de la société attributrice, celles d’une filiale, d’une société soeur ou celles de sa société mère.

Les actions attribuées peuvent aussi bien être des actions existantes que des actions nouvellement émises. En pratique, il s’avérera cependant bien plus facile d’émettre de nouvelles actions à attribuer au personnel par incorporation des réserves au capital social. La loi précise utilement à cet égard que, dans le cadre d’une émission d’actions gratuites, le droit préférentiel de souscription des actionnaires existants est supprimé.

Le législateur luxembourgeois, à la différence des législateurs belge et français, a préféré laisser la plus grande marge de manoeuvre possible de sorte qu’aucune règle de durées minimales supplétives avant l’attribution effective et de détention effective n’ont été introduites dans la loi. Les durées minimales de détention existant tant en droit français qu’en droit belge répondent au souci de conditionner l’avantage fiscal consenti, qui explique la très grande instabilité sur ce plan, en France du moins, du régime d’attribution d’actions gratuites.

Les options retenues au Grand-Duché permettent au seul conseil d’administration ou le cas échéant au directoire dans les sociétés anonymes bicéphales de déterminer l’ensemble des modalités et conditions applicables à l’attribution ainsi qu’à la détention des actions attribuées.

Quid en fin de contrat d’emploi ?

La détermination minutieuse de ces modalités et conditions d’attribution et de détention recèle une importance cruciale quant au succès des objectifs poursuivis. Mais une attention extrême devra également être portée aux conditions de sortie des actionnaires salariés. En effet, les questions liées aux conséquences de la fin du contrat d’emploi, à raison de départ volontaire ou non, devront être réglées a priori par la stipulation de clauses de rachat forcé ou de clauses dites de bad leaver. Les événements pouvant affecter la vie de la société – absorption, acquisition ou scission – doivent également être prévus alors que l’imprévoyance en ce domaine peut conduire à des difficultés dans le cadre des opérations de rapprochement ou de développement de certaines activités.

L’attribution gratuite peut concerner des catégories d’actions dont les droits de vote et/ou les droits aux dividendes sont atténués ou augmentés, de même que la modulation de l’exercice de ces droits pourra être envisagée. Ainsi, les actions pourront être soumises à une clause de stage suspendant l’exercice du droit de vote pendant une durée déterminée sur toutes ou certaines décisions seulement soumises à l’assemblée générale.

Les entreprises de croissance, dont les ressources financières sont limitées dans leur phase de lancement alors que les compétences qu’elles recherchent peuvent être rares et chères, ont souvent recours à l’attribution gratuite d’actions. Ainsi, ces entreprises peuvent espérer compenser les limites d’un salaire inférieur à ceux proposés par des entreprises plus avancées dans leur cycle de développement tout en maximisant l’engagement de ces ressources clés en faisant appel à l’esprit d’entreprise de leurs salariés.

Outre les entreprises de croissance, les programmes de participation financière et spécifiquement les plans d’attribution gratuite d’actions sont des instruments particulièrement pertinents. En effet, de nombreuses études démontrent que les programmes de participation financière sont d’autant plus efficaces lorsqu’ils sont assortis d’une participation des employés aux processus de prise de décisions. L’attribution gratuite d’actions, du fait de la participation, même partielle, des salariés aux processus de prise de décisions permettrait une meilleure « adhésion » des salariés aux décisions du management (5).

Au-delà de ces propriétés des plans d’attribution gratuite d’actions, les études relèvent l’intérêt des plans d’attribution gratuite d’actions dans la stabilisation de l’actionnariat de certaines grandes entreprises cotées, réduisant le risque de prise de contrôle hostile.

Enfin, la mise en oeuvre de plans d’attribution gratuite d’actions doit être évoquée dans le contexte de la transmission d’entreprises, alors qu’elle permet d’engager certains salariés dans un processus de cession dans des conditions favorables à toutes les parties, sous réserve de stipulations contractuelles adaptées.

Me Karim Maadi, Avocat à la Cour, DBB LAW
Me Karim Maadi, Avocat à la Cour, DBB LAW

(1) Freeman Richard B., The Shared Capitalist Model of Work and Compensation, Reflets et perspectives de la vie économique, 2001/1 (Tome XL), p. 169-181, DOI 10.3917/rpve.401.0169.

(2) Kovac Juliana et Gaudemet-Toulemonde Lucy, Fasc. S-4060 : Compléments de rémunération - Épargne salariale - Régime d'intéressement des salariés, LexisNexis.

(3) Krieger Hubert, Perspectives sur la participation financière en Europe. L’actionnariat, 2001.

(4) Stenuick, Sophie, Les bonus, Kluwer, 2012.

(5) Id. 3